Thierry Vaysse, Maestro de deux diva (Chant XVI)

Publié le par Jovialovitch


 

1.


     La lutte fratricide que se livraient La Castelli et La Berezina avait pour conséquence ultime de hisser l'art de l'opéra à des sommets jusque là inégalés ; des moments de pure perfection étaient atteints au point que non seulement il eut été impossible de savoir qui des deux diva était la plus grande, la plus sublime ; et que par ailleurs, le public se trouvait pétrifié par de tels niveaux de virtuosité dont la quintessence était personnifiée magistralement dans Il Biturono, l'opéra de Karl Schtroumpf qui offrait intrinsèquement, une concurrence entre deux héroïnes, et ainsi, entre deux cantatrices qui avaient enfin, la chance extraordinaire d'avoir pour maestro le plus averti des interprètes, à savoir Thierry Vaysse, chantre élu de la beauté, comme on le surnommait de tous temps. Cependant, si la guerre était totale et sanglante entre les deux voix bouleversantes, et qu'elle était synonyme d'absolu ; les désavantages n'en n'étaient pas moins immenses : Thierry Vaysse, le pauvre Thierry Vaysse devait s'efforcer, jour et nuit de gérer une situation insoutenable ; il lui fallait s'user pour ne point donner la préférence à l'une plutôt qu'à l'autre ; il fallait aimer d'un amour sincère et généreux, aussi bien La Castelli que La Berezina ; Thierry Vaysse, sur scène, épuisé, ne pouvait que combattre contre lui-même s'il ne voulait pas s'effondrer, combattre aussi contre la musique qu'il faisait si puissante et d'une infinie splendeur, s'il ne voulait pas sombrer dans l'écueil de la folie.

     Aïdigalayou qui voyait tout ce spectacle avec une émotion intense et une bienveillance profonde parce qu'il parvenait à rester lucide, fut définitivement ému par le dernier acte, le troisième, qui clôturait le chef-d'œuvre de façon impeccable et qui le remplit d'une énergie insoupçonnée ;il ignorait jusque là qu'une telle musique eut été possible. Sa fascination était immédiatement portée sur les deux diva. La Castelli était tout ce qu'il y avait de plus italien ; sa voix était dorée, d'une clarté diaphane, d'une incroyable richesse de tons où un peintre eut pu entendre des couleurs, du bleu, du rouge, du jaune ; si certain lui reprochait de manquer d'attaque, c'est que ceux-ci préféraient La Berezina dont l'italianité était plus ambigüe bien qu'elle excellait dans tous le répertoire du bel canto. Comme elle avait fait ses débuts dans Tristan et Isolde, bien qu'elle ait par la suite toujours affirmé que cela était une légende, La Berezina était vu comme une chanteuse des forêts et des brumes wagnériennes, pire, on avait pu la qualifier d'être pénétrée par ce caractère russe qui fait le charme de tout l'art issu de Pétersbourg. Or, la cantatrice était tout ce qu'il y avait de plus méditerranéen ; elle interprétait des Carmen mémorables, et était saluée comme la chanteuse rossinienne par excellence, c'est dire s'il n'était guère difficile de la trouver « légère ». Mais les partisans de La Castelli n'en démordaient pas et ne laissaient pas de trouver bien plus de grâce chez leur diva, que chez cette autre qui chante « par le nez » comme le répétaient les plus railleurs d'entre eux. Néanmoins, il y avait un endroit où les deux diva se retrouvaient et où tout jugement était impossible ; c'était lorsqu'elles chantaient Karl Schtroumpf, le compositeur mythique qu'elles interprétaient d'une façon si différente et pourtant toute deux d'une façon parfaite, admirable ; c'est encore dans Il Biturono, qu'elles pouvaient atteindre les plus hautes sphères du sublime et notamment dans le duo au tout début de l'acte trois qu'Aïdigalayou écoutait avec un enthousiasme fracassant ; il voyait transparaitre dans ce moment unique de tout le répertoire lyrique, toute la haine qui définissait les deux diva dont le dernier geste étaient pourtant de s'enlacer, toutes deux, dans leurs bras, pour ne former plus qu'une seule voix, et ce devant la baguette tremblante de Thierry Vaysse, décomposé, qui n'aimait là qu'un seul être, qu'une seule diva, de ses deux chanteuses qui se fondaient l'une dans l'autre dans les frissons et la tension ; Aïdigalayou songea au Bituron qui avait fuit tout cela, pauvre sot qu'il était ; quand le duo s'achevait, la salle entière retint son souffle et se mit à applaudir durant une demi-heure, car son ébranlement était entier ; et Thierry Vaysse s'évanouit encore, tandis que des ambulanciers accouraient et le ramenaient sur un brancard, le génial Thierry Vaysse, Maestro de deux diva !

Publié dans Carpatisme(s)

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P
ça donne envie d'écouter! allez! z'avez bien z'un cédé!
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