Suzelmayer intime - Mes Nuits

Publié le par Jovialovitch

Count Robert de Montesquiou

Ernst Wolfgang von Suzelmayer

( 1878 -1935)


FRAGMENTS INTIMES

 

      Entre 1910 et 1914, et pour des raisons qui n’ont pas été éclaircies, Suzelmayer a cessé de tenir régulièrement son Journal. Il avait cependant l’habitude de consigner des notes sur les marges de ses manuscrits, des livres lui appartenant, ou des feuilles disséminées  qui lui tombaient sous la main. Ces notes, inédites, ont été récupérées, classées et rassemblées sous le nom de Fragments intimes. Portant sur des sujets divers – philosophique, politique, littéraire ou intime –, elles constituent un témoignage essentiel pour comprendre la vie et la pensée d’un des auteurs les plus originaux du XXe siècle. (Le Moindre)

 

PREMIER FRAGMENT

02 janvier 1910

 

     Il me prend des envies d’écrire, le soir, ou la nuit, juste avant l’aube. J’aime l’hiver pour ses longues nuits – d’où le somme est banni. Je suis conçu pour elles ; je suis un oiseau de nuit.

     Le jour, j’erre. Il me vient des envies de divertissements, et la densité de mes heures se dissout dans la clarté du ciel. Je m’ennuie, le jour ; je ne fais plus ; je passe le temps. Je suis sans vivacité ; perdu dans la grandeur de midi – je ne pense plus qu’à manger.  

     Il me faudrait prolonger mes nuits. Toujours, les rendre plus longues – plus tardives. Mais le sommeil monte en moi comme la mer. Et je n’y tiens plus ; je dors. Je voudrais qu’il n’en fût rien. Je voudrais tenir. Veiller jusqu’au bout, ne rien rater du noir ; et me retirer, seulement, quand une aube funeste s’abat sur le jour. J’aime l’idée que l’essentiel de ma journée se passe en soirée. J’aime surtout que mes soirées soient plus longues que mes journées elles-mêmes. Ainsi je me décale et me recueille – loin d’eux.

      Ermite, vivant à l’écart – et à Paris !... la nuit est la plus belle solitude du monde.

      Le jour au contraire est populeux et coloré. Surtout : il est bruyant. C’est là son principal défaut. La nuit le surpasse en grâce parce qu’elle a l’élégance d’être muette.

      Je crois qu’il n’est rien de plus poignant qu’une chose qui dort. Ce qui est éveillé est agaçant ; ce qui dort fascine – et fait rêver. Toute beauté est dormante, ai-je lu quelque part… Comment dès lors ne pas adorer la nuit – ce profond sommeil du cosmos, cette grande pourvoyeuse de beauté ? Comment ne pas frémir à l’approche du jour, ce grand enlaidisseur universel, qui ranime l’horreur de la vie en faisait s’agiter les fleurs ?... Comme je hais ceux qui ont choisis le jour !... Éreintés du soleil, illuminés chafouins,  théoriciens de l’aube qui vous pâmez devant l’insanité de tout aurore, j’implore au hasard votre fin prochaine !

 

(Dans le mot « Bonjour » – que de vulgarité, que de fausse joie et d’indifférence contenue ! C’est un mot terriblement éreintant ; un mot profondément social. Alors que dans le « Bonsoir » brille quelque chose de supérieur – une teinte bleutée, grave et soyeuse. Il sonne comme une de ces promesses qui germent au crépuscule. Chaque bonsoir contient un secret – une invitation au fond de la gorge. C’est le mot le plus exquisément intime du langage.)

 

(L’Histoire, elle-même, cette grande manufacture d’idéaux et de [mot illisible dans le manuscrit], s’est écrite le jour. La fureur et la guerre sont d’essences diurnes. Les ignominies de la nuit sont bien maigres en comparaison – quelques déclarations d’amour werthériennes, tout au plus…)

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M
<br /> Mais qui est le Count de Mountesquiou ? Un occitaniste ?!!<br /> <br /> <br />
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P
<br /> bonsoir...<br /> <br /> <br />
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