Fafouette : Douzième - L'oubli

       Il fut un jour terrifiant où Freddy Vif-argent, écrivain de son état que la plupart d’entre vous doivent connaître pour la qualité de ses histoires amoureuses, et la simplicité stendhalienne de son style (que certains traitent honteusement de « dépouillé au point qu’il est inexistant »), allait se coucher avec le sentiment moral étrange et physiquement accablant qui consiste à vouloir dormir, c’est-à-dire en d’autres termes, d’avoir sommeil. Une fois confortablement installé dans sa couche nuptiale aux teintes rosâtres, il décide, et cela malgré les conjurations endiablées de son épouse libidineuse, de dormir tout de suite sans consommer son mariage putréfiant. Mais comme d’habitude, le sommeil ne vint immédiatement, et il fallut du temps avant que notre ami écrivain ne puisse sombrer comme une épave dans les affres filandreuses du sommeil paradoxal qui allait être le sien. C’est d’ailleurs pendant ce temps d’expectative injustifiable de la léthargie somnolente, que la catastrophe qui allait provoquer son suicide quelques mois plus tard allait arriver : tandis qu’il s’enfonçait dans les sables mouvants d’une fourbure cocasse, apparaissait devant ses yeux obliques des images incohérentes. Sentant son corps se reposer tout entier, il laissait son imagination partir dans les délires post-jour qui la caractérise : et là, lui vint l’idée !

        Ceux d’entre vous pour qui le mot « Création » ne veut pas dire grand chose à part un vague rapport avec le vieux barbu qui vous crée l’univers en une semaine, ne comprendront pas la suite, et c’est la raison pour laquelle je les invite à quitter la salle avec l’expression distinguée de mon plus profond mépris. Pour les autres, je vous laissent saliver à l’annonce hollywoodienne de ce qui suit : ainsi donc, Freddy Vif-Argent, auteur de livre raté, voit apparaître alors qu’il tente de s’endormir une idée iodée absolument lumineuse. C’est sublime, une idée comme aucun autre auteur n’en avait jamais eu de toute l‘histoire de la Création humaine, quelque chose d’énorme, de balzacien, de dantesque, de shakespearien, de moliéresque, de rimbaldien, de ubuesque, de cornélien, de gargantuesque, de racinien, de kafkaïen, de baudelairien, de voltairien, de sartrien et de tous cela à la fois : la plus Grande Idée qu’aucun artiste n’avait jamais eu avant : Victor Hugo et Saint-Simon seraient fiers !

        Freddy Vif-Argent la sait, il vient de rentrer dans la postérité, son nom est à jamais gravé dans le marbre de l‘histoire humaine, il va être adulé de part le monde : il ne lui reste plus qu’à écrire. Mais, et c’est qu’il fait l’erreur de sa vie : il n’en a pas le courage. Trop sommeil, il écrira demain, le pauvre homme il est allé marcher pendant trente kilomètre dans une randonnée pédestre, il n’en peux plus ! Il faut qu’il dorme où il va mourir de fatigue. Et puis de toutes façons il ne peux même plus se lever, c’est impossible, l’est plein de courbature le pauvre homme, ùh, des aurores boréales, ùh, mais que vois-je ? Le père No…l, ùh non je veux remonter sur le poneys….maman pourquoi est ce que tu fais….....................

      Il dort. Et vous connaissez la suite. Le lendemain il se réveille, va déjeuner avec l’appétit des cul-terreux à peine sortit des limbes d’un sommeil réparateur, se lave avec la volonté des crades qui sentent mauvais sous les aisselles, retourne dans son bureau, et se souvient alors de l’idée extraordinaire qu’il avait eu hier. Mais, il ne s’en souvient plus. Il se suicidera quelque jours plus tard, en ayant la certitude d’être le plus génie littéraire que la terre est jamais porté. Mais aussi le plus étourdie.