Je suis le Malheureux

Publié le par Lukaleo

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     Un phénomène étrange vient de se passer dans la vie de Stéphane Gigot : jusqu’à maintenant, Stéphane Gigot était un homme plein de fougue et d’espoir, qui croyait dur comme fer en l’homme, en la Liberté et en l’avenir. Il aimait l’Humanité plus que tout au monde, il frissonnait devant les plus brillants exemples de sa vaste Création, jubilait à la lecture de ses plus illustres penseurs, à l’écoute de ses plus glorieux musiciens, et à la vue de ses plus célèbre artistes. Il se passionnait pour l’Histoire de son espèce, chérissant ses arts comme il abhorrait ses tares. Il vénérait la Nature, et à toutes saisons, s’en allait en mugissant de jubilation dans les prés verdoyants d’un printemps imminent en se roulant nu dans l’herbe fraîchement humectée par la douce rosée du matin. Sa vie était un vaste et beau bonheur plein de bruit et de fureur, ou des questions sans réponses le hantaient avec fraîcheur. Il se nourrissant de plaisirs complexes comme de la simple chaleur du soleil sur sa peau, et sentait flotter en son âme parfumé, la grâce suave et enflammée d’une déesse joviale : celle du bonheur.

       Et puis un morne matin, ce sentiment exaltant de chance qui durait depuis l’aube de son existence disparu. Stéphane Gigot le sentait, il était comme à l’hiver de sa vie. Et il percevait avec peur et appréhension que cet engourdissement allait être rude, et ne laisserait place au printemps que dans bien longtemps. Une lourdeur pesante et surplombante s’installa durablement sur son âme ombragée par la triste certitude qu’elle ne se débarrasserait jamais du boulet qui la condamnait. Il ne ressentait plus les frissons du passé, cette joie intense et jouissive que lui procurait la musique, la littérature et le cinéma, tout comme il trouvait soudainement la nature maussade et grisâtre. Il sentait bien qu’il n’y avait là aucune explication rationnelle, aucun médecin hypocrite couronné d’un quelconque serment d’Hippocrate ne pouvait le soigner, le guérir de son malheur ni de sa tristesse rimbaldienne qu’il ne comprenait pas.

      Il cherchait, car il était un homme et que lui comme ses semblables veulent toujours tout comprendre. Il voulait s’en sortir, ressentir de nouveau de l’émotion à la contemplation et rire, pleurer, sourire de bon cœur : mais rien n’y faisait, il était comme mort. C’était un cadavre de félicité, une épave du bonheur, une loque de l’allégresse, et diantre, il ne le supportait plus. Cherchant de part le monde et de part les pays, il tentait tant bien que mal à comprendre sa soudaine tristesse. Il était alors à Singapour quand il se réveilla au milieu de la journée après une longue grasse-matinée et avec sur son agenda un rendez-vous avec un philosophe de la région spécialiste de la question. Puis il devait aller vois son psychologue. Mais alors qu’il déjeunait, il se rendit compte que tout son pesant poids indigent avait disparu, bordel de dieu, il était redevenu heureux !

       C’est cette conclusion qui le conduisit à penser que le vie n’avait pas de sens, que nous étions cerné par le néant, et que de toutes façons, on était juste là pour crever sans rien y comprendre à tout ça. Il vit aujourd’hui 3 rue Léon Portier, à Saint-Etienne, dans ce que ses détestables semblables appellent avec mépris et indifférence une « asile de nuit », et comble de désolation, la soupe n’ est pas chaude.

Publié dans Nouvelles enivrées

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