Hortense, femme froide

Publié le par Jovialovitch


     L'habitude la plus farouche, et aussi la plus fâcheuse de Roland Barthes était de séduire les femmes très médiocrement, de sorte qu'à l'âge de quarante ans aucune ne s'était retrouvée encore dans ses bras. Fort heureusement, il s'était détourné très vite de l'espoir d'en posséder une, et il errait ainsi dans des temps et des lieux qui ne sont pas nôtres, loin des railleries suffisantes des gens mariés. Il dissolvait sa vie dans la solitude et sombrait dans la dépression nerveuse la plus aboutie, ce qui lui occasionna la critique des gens heureux. Roland Barthes voulût certes qu'on l'aimât et qu'on le séduisît, mais qui eût daigné s'unir à cet individu auréolé par les tristes joyaux impurs de l'échec. Assurément personne ; personne n'osa encore porter un regard attendri sur Roland Barthes, prince de l'insignifiance, chantre élu de l'erreur. Alors il continuait d'errer dans les arabesques de l'exil et dans les mécaniques de la désolation. Par conséquent vivait-il sur ses propres ruines.

     En outre, il remarqua un jour la présence d'une femme qui frappa sa conscience affligée par les soubassements tenaces de la mémoire dont les résidus insécables lui faisait songer toujours, songer à la promesse qu'il avait reçu d'une vie médiocre. Et cependant, il touchait de ses yeux mouillés par les larmes du désespoir, l'aura miraculeux qui se présentait par-dessus cette créature illuminée, et qui occupait fantasmatiquement le corps de Roland Barthes tout entier. Il se mouvait lui-même grâce à ce souffle hallucinatoire qui l'entraînait à éprouver la chair des choses qu'il palpait frénétiquement quoiqu'intellectuellement, et ceci dans une fascination singulière, dont l'objet était l'être froid de la féminité. Il en allait ainsi de cette femme, qui semblait de sang froid, pareils à ces serpents dont le venin s'associe à leur apparence déjà effroyable bien que tentatrice. Cette femme-là, Roland Barthes l'aimait beaucoup mais il ne voulait pas s'en approcher, car il ressentait la terreur qu'elle irradiait. C'était la perdition incarnée. Sa froideur excessive, il la contemplait de loin, depuis sa timidité maladive, et de son excitabilité trop importante, elle était confondante, et la seule idée de se retrouver dans un ascenseur avec elle, face à face, glaçait le sang de Roland Barthes qui vivait la gêne à laquelle il s'imaginait confronté : il transpirait abondamment, son visage rougissait, sa voix se flétrissait, ses jambes flageolaient, et le silence insoutenable qui régnait multipliait l'angoissante pensée de Roland Barthes, homme moderne.

     Cependant un jour, le châtiment fut infligé, et Roland Barthes se retrouva - vision d'horreur – devant, à quelques coudées, de cette femme froide dont il ne pouvait, le croyait-il supporter la crispante compagnie. La femme froide, elle était vêtu d'une jupe assez élégante, elle portait des talons-aiguilles, et un haut fort seyant, mais Roland Barthes ne put s'en apercevoir. Il y avait bien sûr la pâleur dure de son visage, et cette flegmatique allure qui s'accommode toutefois subtilement, à la blondeur sublime de ses cheveux. Il y avait enfin ces yeux qui causaient le malheur de Roland Barthes dont le regard était porté confusément à terre. Roland Barthes haletait et toutefois, il ne voulait pas céder, il ne voulait pas paraître si honteusement gêné, tandis que la jeune femme était impassible, quoiqu'en fait, elle était aussi émue, derrière le masque de l'antipathie, c'est là le privilège de la sophistication. Roland Barthes savait tout cela mais il ne pouvait accorder ses actes avec ses désirs, il tremblait, il luttait, pourquoi l'ascenseur montait-il si lentement, et surtout, pourquoi quelqu'un ne rompait-il pas le silence, satané silence cause de tout ce désastre. Mais voilà qu'à l'entresol qui jouxtait en contre-bas le troisième étage, et prenait en surplomb le second, voilà que Roland Barthes parvint à redresser le chef, ce qui fit qu'il avait les yeux posé à présent sur la belle pour laquelle il languissait. Péniblement, il réussit à tenir cette audace qui le poussait à regarder bien ardemment l'épouse qu'il aurait aimé avoir, laquelle porta à son tour ses yeux foudroyant sur le visage liquéfié de Roland Barthes qui avala sa salive et qui se mit à pleurer insensiblement ; il ne le voulait point, non ! mais il ne supportait pas de perdre la lutte, et de perdre la face, devant celle qui devait être l'aimée, pour laquelle il voulait être le preux chevalier. Qu'est-ce que Michelet aurait fait à ma place pensait-il, et il ne pouvait cependant retenir les lourds sanglots qui perçaient sa pupille de plus en plus ; mais de son côté la jeune femme ne put résister non plus, et elle éclata brusquement, laissant se déverser toute la tension qui s'était accumulée dans cet endroit exigu mais divin à présent, et remplie par les pleurs. Roland Barthes n'hésita plus, il prit par la main la femme froide révélée dans toute sa profondeur, elle lui dit qu'elle se nommait Hortense, et tous deux finirent dans le lit de Roland Barthes ; ce dernier posa alors ses lèvres sur la belle à la blondeur chatoyante, jamais un tel baiser ne fut si intensément voluptueux. Mais Roland Barthes se recula subitement, il fut saisit d'épouvante ; il saisit violemment la toison dorée de la merveilleuse femme, et elle abandonna la tête à laquelle elle était divinement amalgamée, laissant-là une calvitie parfaite ; Roland Barthes s'empara alors de ce crâne, il ôta le masque. Michel Foucault ! Mon dieu ! Il se mit à hurler, et Michel Foucault, qui éclata en sanglot criait à tue-tête embrasse-moi ! Embrasse-moi ! Non ! Jamais ! rétorquait Roland Barthes qui hurlait à l'infamie ; Maman ! Maman !

Publié dans Nouvelles enivrées

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L
Bonjour Archiduc Jovialovitch, j'aime beaucoup ton travail et j'aimerais te proposer quelque chose qui pourrait t'inspirer,t'amuser : Lacryma. Je te copie/colle la suite pour un peu tout t'expliquer (c'est quoi lacryma ? Comment tu peux m'aider ? Pourquoi dès maintenant ?). J'espère sincèrement que tu seras de l'aventure... Attention je colle :<br /> <br /> J'ai donc un projet, Lacryma : une série littéraire communautaire, un livre intéractif qui va ouvrir le 03 septembre. Le concept : j'écris une histoire, diffuse un épisode par semaine, les lecteurs peuvent s'en inspirer pour créer des images, des textes, de la musique et les coller dans le livre. Le but est de se servir des technologies d'internet pour tenter de créer une nouvelle légende, une mythologie. Chaque lecteur aurait 2 galeries, une première avec les créa inspirées de Lacryma, la seconde serait réservée à son travail personnel.<br /> Si cela te tente ou t'intrigue, tu peux aller jeter un coup d'oeil sur mon profil myspace http://myspace.com/lacryma_saison1 pour mieux comprendre.<br /> <br /> J'aimerais qu'il y ait des créations dès l'ouverture en septembre, des créations que j'aime, et donc je te lance ce tonitruant appel pour que tu sois là dès le lancement.<br /> Si cela te tente, tu peux lire le début de l'histoire sur la V1 ( http://www.lacryma.fr ) qui n'est pas encore intéractive mais qui m'a permis de faire connaître l'univers lacryma. Je peux aussi t'envoyer des extraits...<br /> <br /> J'espère vraiment que mes mots t'inspireront ; j'ai hâte d'avoir ton verdict.<br /> <br /> Je croise les doigts et te souhaite les meilleures créations.<br /> <br /> Lacrymalement<br /> Sébastien Bellanger
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