Les Carnets du dictateur, les victoires du printemps

Publié le par Jovialovitch


23 de mars

     Mon évasion fut un chef-d'œuvre d'intelligence ; mais comme le monde est beau maintenant, et comme La Rochelle est belle. Je suis de retour, tel un phénix : tout mon passé s'est détruit au fur et à mesure qu'il m'était par moi-même conté, car inévitablement, je me rapprochais de la lente fin, de la mort dans les draps aromatiques et d'encens où je me consumai dans les flammes, parmi les cendres de C., et les miennes dans cette prison où je brûlais, moi qui accumulait autant de puissance que le soleil lui-même ; j'étais fin près à me lever sur le monde et les ténèbres, il ne manquait plus qu'à inventer la sortie ; qui donc inventera la sortie ? Tout est prêt ! Mais voilà qui est fait ; on a briser le barrage où je stagnai et j'inonde à nouveau La Rochelle, et de mes larmes et de mon corps flamboyant, comme le crépuscule l'inondait jadis devant moi, moi et ma dictatrice, et comme le printemps, rouge, bleu, or, l'inonde maintenant, de son plumage majestueux, superbe, pareil à un oiseau de feu pullulant de parfums et de poisons, et encore de chaleur, revenu pour vivre éternellement, cinq cents ans peut-être ; j'étais moi-même revenu pour cinq cents ans au moins.

     Je ne suis pas seul, non, car vous ne savez pas cher Journal qui a eu l'idée excellente de libérer mon audace et ma dignité. C'est Célestine ; j'en avais eu d'ailleurs l'intuition, et cela s'est passé parfaitement, je lui dois tout, absolument, elle savait que j'étais là, et elle œuvrait voilà six mois pour ma libération, tandis que je vous racontai ses aventures juvéniles, à vous encore, mon seul compagnon, mon cher Journal. Par un coup du sort impeccable, elle parvint à me faire sortir de ce brasier et je suis avec elle aujourd'hui, elle n'a rien perdu de sa beauté, et je pourrai presque l'aimer, mais....oui, il y a......il y a La Rochelle.

     Mais enfin je sais aussi qu'il faudra fuir, loin, ailleurs car nous ne sommes pas pour autant en paix ici ; La Rochelle n'offre guère qu'une paix spirituelle dont la loi se fout éperdument, et je me vois contraint de subir à nouveau et l'exil, et le printemps bruyant ; cependant je ne dis rien d'autre, je me tais, c'est beaucoup trop tôt ; si Célestine apprenait que je suis dictateur !

     Je n'avais jamais su ce qu'était devenu Célestine dès lors qu'elle était partie en direction de La Rochelle, il y a fort longtemps ; alors elle me raconta tout : qu'elle étudia la sémiologie, qu'elle grandit, qu'elle perdit sa mère (un pique-nique, la foudre), qu'elle se consola, qu'elle grandit encore, qu'elle s'éprit d'un jeune homme doté d'une grande fortune, qu'elle l'épousa, et puis qu'ils eurent deux enfants, et puis qu'ils divorcèrent, etc, etc. J'étais tout à fait consterné par ce désastre qu'elle me racontait et je n'eus plus aucune envie d'être avec elle, en train de fuir de la sorte, je regrettais presque qu'elle m'eut délivrée ; elle m'agaçait comme avant, sur la fin quand je l'exécrai plus que tout au monde ; voilà qu'elle revenait se fixer à moi, comme une évidence, ou plutôt comme une moule ; or dieu sait si je ne supporte pas ce genre de mollusque bivalve !

     Maintenant j'étais tout à fait certain que je pouvais lui avouer que j'étais un détestable dictateur, je désirais la décevoir ; elle était beaucoup trop guillerette pour que je ne me vengeasse point. Mais je n'eus pas le temps de parler qu'elle me pris par la main, comme une mère saisissant son enfant, et qu'elle se mit à courir, dans la vaste forêt qui se trouvait devant nous. Elle riait tandis que déjà l'obscurité de la nuit descendait et nous condamnait à un noir presque total, il fallait nous trouver un endroit pour dormir ; cette nuit-là je me crus enfermé encore dans les bras de ma prison, mais c'était ceux de Célestine qui m'étouffaient. Je savais que j'avais toujours détesté la liberté mais maintenant c'était un lien guerrier qui m'unissait à elle ; soudain, j'entrevoyais ma mission ; je me levais dans la nuit et je fuyais par un chemin qui ne menait sans doute nul part mais c'était là-bas que j'allais ; je devais me lever pour me sauver, et ne pas rester ici coucher pour périr à nouveau ; c'était soit ça, soit Célestine ; or dieu sait si je ne supporte pas ce genre de mollusque bivalve.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article