Journal d'un ex-chercheur d'or

Publié le par Jovialovitch


        Il est urgent de penser au passé. Certes c’est confus, mais tout de même. Je crois me souvenir d’une histoire de misère et de faim, qui dura un certain temps. Pas mal de poussière à cette époque. Et puis ce fut un homme qui criait dans une rue… un journaliste : il disait qu’on avait découvert de l’or en Californie. Il me semble m’être levé pour acheter son journal ; c’était ça, il y avait de l’or, là-bas. Alors là je me rappelle très bien : je suis parti. Je ne me souviens pas avoir réfléchi ; je suis parti immédiatement. Comme si je n’avais pas eu le choix. Et je traversais le pays, d’est en ouest ; j’avais le sourire. J’allais vite, je courais, je me ruais. J’étais fou.

        En Californie, c’était toujours la misère et la faim ; c’était même pire. Il y en avait partout, des comme moi, qui étaient fatigués, qui se ruaient. On disait qu’il y avait de l’or, alors je cherchais, comme un fou, dans les rivières, je cherchais : de l’or, du caillou bourré de pépites… rien que ça ! J’étais obsédé, et quand je dormais, j’en rêvais. C’était du brillant, que je voyais d’entre le sable, c’était du doré que je distinguais dans le paysage, d’un coup d’œil miraculeux, qu’une paupière de trop aurait cacher. Mais en vrai, de l’or, je n’en trouvais pas. Et pourtant, des heures, à trier le sable et le gravier dans ma batée,  j’en ai passé. Plus que toutes les pépites du monde ! Mais rien… je m’en souviens très bien de ça : de l’eau couler, c’est tout ce que j’ai vu pendant ces années. Pas le moindre grain d’or en des années de recherche. Quand j’y repense, maintenant, il me semble bien pourtant que j’aimais ce temps-là, plein de rêve, de fureur… de fièvre, où je brûlais d’envie.

         Souvent, j’ai changé de rivière ; ça ne servait à rien d’y chercher plus longtemps. D’autres autour de moi changeaient carrément de métier, et repartaient, penauds, vers l’est, là-bas. « Ça ne sert à rien de continuer ! » qu’il disaient. Je refusais, moi, de partir, sans or, je m’en souviens très bien. Sans doute je voulais devenir riche. Surtout je voulais de l’or, je voulais en trouver : et je continuais. Je cherchais intensément, solitaire, perdu, dans cette quête, qui enflammait mon âme et qui raidissait tout les points de mon corps courbé par le travail. Je me souviens de l’espoir intense qui m’animait tous les matins ; j’étais sûr d’en trouver dans la journée, de l’or. Mais toujours rien, alors c’était ce désespoir total, qui m’envahissait ; cette envie dévorante aussi, de toute foutre en l’air. Je ne le fis jamais ; à l’époque déjà, j’avais peur des regrets. Et puis… c’était toute ma vie.

          Alors je renouvelais chaque jour les mêmes gestes, et au bout de plusieurs années, cela n’étaient plus qu’échecs répétés. Je me sentais maudit parfois ; un jour, je me souviens, je posais ma batée à côté de moi, et en voyant mon reflet barbu et cerné dans l’eau, je me demandais si je n’avais pas loupé le coche. Mais je continuais : je mettais dans cette recherche les dernières parcelles de mon âme. Je n’avais plus rien. Je misais tout sur l’or. Comme un fou.

        Tout ça, je m’en souviens comme si c’était hier. Et puis il y a aujourd’hui. Alors aujourd’hui, je suis allé me courber vers ma rivière, j’ai cassé un rocher, avec une massue, j’ai trié la flotte avec ma batée, et là, sacré nom de dieu, je trouve une toute petite pépite ! Alors je tremble d’émotion… je sent mon visage qui se raidit dans une sorte de grosse grimace. Et je cherche encore, tout frémissant, sans comprendre, sans y croire, et j’en trouve d’autres, des dizaines, et puis tout d’un coup, je trouve un énorme caillou tout en or, énorme ! Et j’hurle de joie, je saute au ciel ! Je pleurs comme un fou… je danse, je…Un bonheur intense et extatique… je… je… suis un homme riche ! Je vais pouvoir me reposer maintenant. Couler des jours paisibles…. Et puis… et puis… je... Non quoi, merde !... Je préférais chercher, moi !

Publié dans Journaux intimes

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