Philosophie de Robert A. IV

Publié le par Jovialovitch


 

     Jovial avait été une idée obsédante qui ne cessait de se trouver dans l'esprit de Robert A. qui en fut d'autant plus tourmenté lorsqu'il fit une découverte stupéfiante en ouvrant par hasard un ouvrage de Nietzsche qu'il voulait lire, un soir, par seul désir de se divertir un peu. Le pauvre homme n'en dormit plus de la nuit car il avait devant ses yeux la description parfaite et en tous points similaires de cette idée du Jovial qui tantôt le fascinait, tantôt le faisait rire tant ce concept lui paraissait tout à fait imbécile et fort obtus. Cependant quand il s'aperçut que les mots servant au philosophe apatride et néanmoins allemand, à définir ce qu'il entendait par ivresse dionysiaque, Robert A. vit que son Jovial était tout autant cette exaltation bachique nietzschéenne et cela le fit frémir d'un soubresaut violent qui laissait paraître toute la dimension tragique de cette découverte dont les séquelles laissées n'étaient encore qu'inconscientes mais qui bientôt allaient se révéler et se changer en une plaie béante que même le temps et ses outrages ne parviendraient à refermer ; Robert A. comprit à cet instant que le sort de l'humanité qu'il croyait depuis toujours entre ses mains avait été dans les menottes surhumaines mais détestables, de celui pour lequel il vouait depuis ce jour une haine mortelle.

     Robert A. fit trois tentatives de suicide. En vérité, il n'en fit que deux, mais constatant son échec par deux fois recommencé, il voulut définitivement en finir avec la vie, mais il échoua à nouveau, la troisième fois ; sans doute n'était-il pas précisément sûr qu'il souhaitât mourir déjà. Quoique. Enfin ce qui ne fait aucun doute, c'est que cette lecture fatale qu'il avait voulu pour sa détente allait à jamais le faire souffrir et peut-être par-delà même la mort. Mais trêve de balivernes, Robert A avait en fait découvert que plusieurs fois dans son existence, et même assez fréquemment, il avait été dans un état dionysiaque. Me voilà grec, à présent, pensa-t-il, lui qui voulait établir une alternative philosophique à la fois à l'origine grecque et à la conception latine. Il eut aussi une espèce de sentiment étrange car Nietzsche exprima lui-même en ses premiers ouvrages le Dionysos (et l'Apollon) comme étant n'est-ce pas les deux pôles unis, de l'art tragique grec. Et Robert A., tel un disciple de Nietzsche, sans le vouloir vraiment, avait eut depuis longtemps une intuition semblable. Pourtant Robert A. avait-il eut connaissance de l'apollinien, ou d'un équivalent ; sans doute pas car le principal soucis que révélait le Jovial – le Jovial alburnien -, c'est qu'il était impossible, pénétré par cet état, de procéder une création qui fut autre qu'un développement aigüe et prononcé de la théâtralité et de la métamorphose permanente de l'homme qui sent en lui cette puissance fougueuse et incontrôlable qu'il exprime comme elle vient, dans un état absolument primitif ; Robert A. se demanda un temps si il n'y avait pas dans le Jovial, et en son mystère, quelque chose de différent, de supplémentaire que l'on ne retrouverait point en l'état dionysiaque. Ces questions s'entrechoquaient à peine quand Robert A. eut une révélation. Il assistai à une conférence placée sous l'influence de l'ennui, qui, du reste, permis l'éclosion longtemps ruminée et en gestation de la certitude jovialesque : il venait de comprendre dans la chaleur et l'affliction ce qu'était au fond Jovial, ce qui l'engagea d'ailleurs dans un mouvement impulsif et passionné à sortir de la salle où l'on était tant assoupi que personne, pas même le conférencier ne remarqua cette scène pourtant triomphale : Robert A; venait de comprendre une chose qu'il désespérait de ne connaitre jamais ; devant ses yeux que les larmes dissimulaient, il discernait néanmoins dans toute sa somptuosité, la vérité, il détenait enfin le Jovial ! ; seulement il ne daigna jamais écrire ce qu'il en était de sa révélation ; il prit la peine, seulement, d'inscrire dans un de ses rares carnets, la date du 26 juin 1990, et il considéra qu'il avait accompli son œuvre, alors, pour toujours, il cessait de philosopher car, à soixante-six ans, il venait enfin de découvrir, le sens de la terre.

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