Fafouette : quarante-deuxième - Les Virtuoses

Publié le par Jovialovitch

      Les virtuoses ? Ils sont fascinants. Nous devons les aimer plus que tout au monde : ils ont le talent le plus abrupt qui soit. Ce sont d’énormes blocs de marbres, des lingots d’or scintillants qui éblouissent. Leur don est matériel ; il n’est pas comme celui des Génies, une faculté étrange et mystérieuse, enfouie dans les vastes profondeurs de l’intellect subconscient ou de la glande pinéale ; il est plutôt fait de chair est d’os : de mains, de doigts ou de cordes vocales. C’est par le corps que passe leur talent : il est le moyen du virtuose, le pont entre son don intérieur, et le monde extérieur. Tout l’inverse du génie : celui-là, n’a pas besoin de corps ; son talent est ailleurs. Quand le génie brille par son esprit, le virtuose éclate par son corps.

       Car les virtuoses éclatent. Ils sont des explosions de force, de travail et d’ardeur ; ce sont des pétarades de panache et de précision qui s’élèvent jusqu’à la perfection. Nul ne reste insensible devant un virtuose ; cela saisit l’âme et le cœur, cela met en face de ce que la beauté à de plus invraisemblable. Et pourtant, rien n’est plus vrai. Le génie est lointain, au-dessus : son langage est comme inatteignable, impossible à saisir dans toute son immensité ; il est suprême, et ne peut se voir qu’à travers le rideau noir de l’interprétation. C’est un soleil, éblouissant, tout à la fois sublime et intouchable, dangereux, aveuglant : à des années-lumière. Le virtuose lui, est tout proche, il est vivant, et palpable ; il nous regarde, il est direct : il éclate et nous sentons son souffle nous balayer. Et là où le virtuose est fascinant, c’est qu’il touche un brin de ce soleil qui brille au dessus de nos têtes insignifiantes : le virtuose peut s’élever jusqu’au génie, en toucher l’astre, et cela sans se brûler. Le virtuose, il faut bien le dire, c’est un extraterrestre ; c’est un démon, entre nous et les dieux.

        La virtuosité est stupéfiante en effet. On pourrait croire que les virtuoses naissent plusieurs fois, ou qu’ils ne meurent pas : ils profiteraient dès lors de leur éternité pour explorer les tréfonds de leur discipline, et s’élèveraient ainsi de siècle en siècle, à des degrés hallucinants de perfection. Mais ce n’est pas le cas. Deux des plus grands virtuoses de l’histoire nous le prouvent : Rachmaninov et Paganini. Respectivement démoniaques avec un piano et un violon, ces deux hommes étaient atteints du « Syndrome de Marfan », une maladie génétique qui leur conférait une sorte d’hyperlaxité ligamentaire, ainsi que des déformations squelettiques, dues à une croissance anormale des os. Les choses deviennent plus claires à présent : les virtuoses sont des malades, qui allient à leur don inexplicable, la déformation physique suffisante pour atteindre la perfection. Leurs doigts sont très longs, élastiques, étirés entre les phalanges : il sont anormaux. Et tout leur talent tient dans cette anomalie. Leur faculté débordante ne peut pas s’exprimer pleinement dans un corps harmonieux : il leur faut un attirail adapté à leur formidable puissance. La perfection n’est pas humaine : seul ceux qui ne sont pas tout à fait humain peuvent l’atteindre. Ce sont précisément les virtuoses.

         Nous avons eu ces deux malades, russe et italien, pianiste et violoniste. Mais sans doute que le plus grands de tous est à venir. Sera-t-il pianiste, ou violoniste, je n’en sais rien… Ce que je sais, c’est son anomalie : il aura douze doigts…

Publié dans Fafouette enseigne

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