Philosophie de Robert A. I

Publié le par Jovialovitch


 

     Robert A. détestait la littérature de Sartre, et l'œuvre de Camus lui était peu sympathique. Au premier il reprochait ses récits nauséeux et son style « sale » dont il trouvait qu'il manquait d'élégance et de force. Robert A. eut été moins sévère sur la philosophie de Sartre qu'il ne l'eut été sur celle de Camus qui lui paraissait, certes modeste et humble, mais qui, s'efforçant de vouloir affirmer la vie, laissait finalement sur une note foncièrement timide, délicate, un peu frêle qui semblait préférée le sommeil à l'action. En somme, il retrouvait dans la littérature de Camus cet aspect de lenteur qui lui semblait insupportable alors que Sartre était insupportable parce que mauvais littérateur et en fin de compte, fabulateur. Robert A. voyait bien que Sartre dépassait amplement Camus mais que ce dernier était plus estimable que le premier. Au fond, ce que voulait dire Robert A., c'est qu'il refusait cette incarnation du XXème siècle dans l'un ou l'autre de ces personnages éminents auxquels ils reprochaient de s'être laissé engouffré dans cette veine de l'absurdité ou du dégout initial, dont les conséquences sont qu'ils assomment toute littérature et qu'ils la placent dans une ornière où l'on ne fait que patauger. Camus était du mauvais Kafka et Sartre du mauvais Céline, sachant que Robert A. n'aimait pas plus Kafka que Céline.

     Parmi ces autres noms auxquels il ne voulait accorder aucune importance, il y avait Nietzsche qui était pour lui, certes une bien ondulante question, mais surtout, l'incarnation de la philosophie pour des faibles incapables d'accéder au plus petit degré de dépassement humain. Et il reprochait à Nietzsche d'en être ; d'être un homme sans aucun tact, sans aucune habileté, sans aucune intensité, sinon littéraire et philosophique. Il était au fond pour Robert A., qu'un chrétien théâtralisé ; et tout, jusqu'à sa philosophie n'est que mise en scène. Ce qu'il fallait dire, selon Robert A., c'est que Nietzsche était incapable d'authenticité et qu'il lui fallait tout facticement immiscer pour se surhumaniser volontairement. En cela se trouve peut-être son génie.

     Robert A. n'avait guère de passion non plus pour la psychanalyse freudienne ou encore pour le marxisme et tous ces philosophes de gauche du XXème. Il ne supportait pas Wittgenstein et les deleuziens l'agaçaient. Quant à la pensée antique, cela l'intéressait davantage ; il s'était épris des pré-socratiques et de la pensée hellénique dont il ne convenait pas, mais à laquelle il portait néanmoins un certain intérêt. Il avait par ailleurs laissé Platon de côté et restait distant d'Aristote. Il aimait à dire qu'il avait parfaitement compris Platon, en ce sens qu'il avait compris sa naïveté et cette façon de philosopher comme un enfant ; un enfant immuable et incapable de grandir. Robert A. considérait le mythe comme une vaste pantalonnade au potentiel comique extraordinaire et insoupçonné.

     Mais pour en revenir à notre époque, il était navré de voir avec quelle fermeté, la philosophie s'embourbait dans une médiocrité assassine qui faisait que pour Robert A., elle agonisait ou bien qu'elle était peut être déjà morte. Il était absolument horrifié par la Recherche en philosophie et cette façon de ne pas faire de la philosophie. Pour se consoler, il relisait parfois les philosophes des Lumières, mais rapidement, après trois lignes de Rousseau, il s'évanouissait d'ennui.

     Robert A. détestait la philosophie.

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