Le Bituron, mon Bituron (Chant XIV)

Publié le par Jovialovitch


 

7.


     « En France, je me mis à écrire, et puis je venais habiter ici, avec ma femme que je rencontrais ici, aussi ; je n'avais jamais supporté l'idée du mariage et pourtant ça ne me faisait plus rien maintenant. J'étais prêt même à procréer, à fonder une famille, tout ça. Et cependant, je vis toujours avec mes échecs, ils sont en moi comme des souvenirs et ils m'obsèdent ; quelle déconvenue, j'étais si heureux auparavant ; or tout ce que j'entreprends aujourd'hui est voué à l'échec. Mais vous Aïdigalayou, quelle est la signification véritable de votre vie ? » et Aïdigalayou qui s'était plu à imaginer l'existence du Bituron, eut la sagesse de répondre que la perfection n'était pas humaine.

     Cessons ces bavardages, dit Le Bituron, écoutons plutôt attentivement cette musique qui bouleverse les cœurs. C'était une petite musique de nuit, ou une sonatine, qui pépiait-là avec quelques traits de lumière, car l'heure était fort avancée et l'aube recoupait la nuit. Pourtant on vint interrompre ce moment de poésie infinie qui s'épanchait alors ; c'est la femme du Bituron, femme gracieuse à l'élégance toute française, bien que disposant d'un caractère fort trempé, qui inquiète des audaces de son mari veillant au-delà de ce qui est permis à un homme de son âge, s'en vint gronder le pauvre homme, qui racontait à son hôte ses frasques de jeunesse, et son ardeur, et sa vaillance d'antan ; voilà qu'on venait prier un véritable aventurier de venir se coucher dans le lit conjugal ; Aïdigalayou s'émut d'une telle déchéance et n'eut pas même le temps de souhaiter la bonne nuit au héros. Il demeura quelques instants devant le feu s'effaçant de la cheminée et comme il avait sa chambre à l'étage, il monta et découvrit une fabuleuse vue sur le matin, ce qui le rendit triste car il se crut lui aussi sur les toits de Venise, et puis dans une gondole avec Le Bituron, Ô Sole Mio ! Avec Le Bituron, Son Bituron !



8.


     Dedans son lit, Aïdigalayou ne pouvait fermer l'œil car l'audace que cette journée lui avait apporté n'était pas retombée encore ; il songeait donc, après tant de joie, à la tristesse effrénée de son Bituron ; pourquoi cet homme était tombé malade, pourquoi n'avait-il pas continué à vivre comme avant, loin de tout échec ? En fait Aïdigalayou ne le savait que trop car parfois il se demandait s'il n'était pas lui-même échec, rien qu'échec. Mais enfin dans ce lit, et dans cette chambre, et devant cette vue sublime, Aïdigalayou se fichait bien de tout cela ; il riait car tout allait mal, mais pas si mal quand même. C'est sur cette pensée qu'Aïdigalayou s'endormit paisiblement, comme un enfant, les cloches sonnaient au loin ; l'enfant béni, il était tout baigné de soleil.

Publié dans Carpatisme(s)

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