Les Discours de Gilles Artigues (Chant XI)

Publié le par Jovialovitch


  3.


     Aïdigalayou qui avait attentivement écouté son compatriote, avait pris un air ironique et tout empreint de malice, ce qui eut pour cause de troubler le vénérable Gilles Artigues dont la parole intarissable allait reprendre de plus belle ; il se lança en effet dans une série d'éloges que la postérité allait retenir sous le nom fameux de « Discours de Gilles Artigues. »

     « Notre temps est paradoxal ! En disant cela, je ne parle pas certes seulement de notre époque, mais bien du temps, du temps en tant que temps qui passe, le temps que l'on décompose en jours, en heures et en minutes puis en secondes aussi, en mois, en années, en semaines, autant d'instants qui s'écoulent et dont la valeur belle et précieuse, en est tout aussi tragique, car si l'homme est malheureux, n'est-ce pas parce qu'il est déposé, comme un bâton dans un fleuve, dans le temps, et que celui-ci, ce fleuve-là, le mène tout droit là où plus rien ne s'écoule, où même le temps n'a plus lieu d'être, ni le fleuve, ainsi la mort, ainsi l'océan. En somme, si l'on doit quand même trouver au temps une valeur, une valeur présente, ce serait celle de durer. Il est symptomatique que notre époque ait conçu un temps qui ne dure plus et qui pourtant s'amalgame bien aisément à une auguste mollesse.

     Ce qui est certain, c'est que nous ne prenons pas le temps de vivre. Nous nous empressons, nous courons de-ci de-là comme si notre plaisir était celui de courir sans cesse, simplement pour cette joie-là qui traduit en fait l'impossibilité même de toute oisiveté. Or Gilles Artigues est un oisif. Paradoxalement, nonobstant cet affairement exaspéré, l'homme, je le crois, a depuis longtemps sombré dans les jeux de vagues crépusculaires et anguleuses de l'ennui au point qu'à force de s'endormir, il en a oublié l'oisiveté. Or Gilles Artigues est un oisif. On le voit, on ne parvient pas à faire durer le temps : soit l'on court, soit l'on dort ; dès lors, quel fou sera suffisamment audacieux pour affirmer tout de go que nous ne sommes pas superficiels ?

     Nous nous éloignons de la Volonté d'agir, palsambleu ! Ce qu'il nous faut, s'est y retourner, aller tout droit dans le temps qui dure, et non dans le temps qui passe seulement, et ce n'est pas uniquement dans la Volonté d'agir que je vous amène, mais aussi dans l'oisiveté. Changeons notre mode de vie, dit Gilles Artigues. Mais la Volonté d'agir : il s'agit de sortir de l'enfermement qui nous fait échouer, de la prison dont les barreaux nous cingles, il s'agit enfin de triompher de tout ; triompher de tout, c'est bien-là l'essence de la Volonté d'agir.

     Ô ma Volonté, Ô ma Volonté d'agir, car tu es belle, oui tu es belle dans ton apparat pourpre et minaudant. »



4.


     « Et livrons-nous derechef à un éloge de l'oisiveté. Il faut être amoureux, ou slave, ou ivre pour se laisser choir dans les bras insondables de l'oisiveté. Exactement comme la Volonté d'agir, l'oisiveté est l'entre-deux où point le triomphe. La déchéance la plus imposante, la plus rapide glissade, la chute la plus terrible est pour Gilles Artigues synonyme de triomphe. De même, la victoire la plus belle est peut-être un redoutable échec. Combien la « réussite » nous trompe, Monsieur Aïdigalayou. Moi-même ne suis-je pas l'homme du triomphe, moi qui suis tombé au fond du trou, moi qui touche le fond et qui patauge lamentablement dans la boue et m'enfonce encore dans la vase, est-ce que je ressens la flétrissure de l'échec, moi ? pensez-vous ; mais nous nous égarons ; il nous faut maintenant parler encore de la Volonté d'agir.

     Ô ma Volonté, Ô ma Volonté d'agir, car tu es belle, oui tu es belle dans ton apparat pourpre et minaudant. »

Publié dans Carpatisme(s)

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P
j'ajouterai que quand on veut dire "ce qui eut pour conséquence" on ne dit pas "ce qui eut pour cause"...
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L
ce message doit etre détruit après lecture, car absolument extralittéraire : le réveillon prévu aura lieu lundi soir chez le sieur Quentin B., on vous y attendra avec des cotillons, et je rapelle un promesse patissochocolatiere qu'on m'a faite ^^<br /> à demain soir, donc !<br /> (peut etre le saviez vous déjà par l'ami point, mais lui meme ne donnant pas de nouvelles ...)
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J
<br /> <br /> Nous en serons, que diantre !<br /> <br /> Merci du message, ô reine des grâces !...<br /> <br /> <br /> <br />