Les Carnets du dictateur, Célestine V

Publié le par Jovialovitch


 

20 de octobre,


     Nous vécûmes de notre amour disloqué assez longtemps ; Célestine était devenue de plus en plus silencieuse et moi, je demeurai dans ma positon socratique : je n'usais que d'ironie et de fausse humilité. Par ailleurs, je ne m'apercevais pas du temps que je perdais dans ce jeu-là, et tout ce qui suivit m'indiqua ma profonde médiocrité car je m'aperçus que je n'aimais plus Célestine. Il y eut d'abord un long séjour à la campagne qui à nouveau me sépara d'elle. J'arrivais dans une vieille maison, dissimulée bien que située en hauteur, qui côtoyait un pré et où le relief sensiblement vallonné, faisait que l'on pouvait tous les soirs assister à un sublime couché de soleil dont les plus beaux prenaient une teinte violacée dans un ciel encore bleu ; l'on pouvait contempler encore ce panorama sur le chemin qui descendait dans la vallée et où se présentait tout un panorama que l'on avait tantôt l'impression de dominer, et en descendant, de finalement pénétrer. Tout cet endroit était silencieux et l'on ne ressentait jamais qu'un froid tiède qui se poursuivait dans la longue descente serpentée qui nous menait dans une obscurité où coulait une petite rivière, que bordaient des arbres abondamment verts mais dénués de partie végétale.

     Je fis plusieurs séjours à la campagne, et je trouvai à chaque saison un sentiment d'exaltation extraordinaire. Il y avait les lourdes chaleurs d'été où nous restions dans la fraicheur parfumée de l'intérieur ; mais le soir était admirable, les étoiles resplendissaient dans la chaleur tombante, tandis que des chauves-souris tournoyaient sans cesse dans un bourdonnement flapi et dans une direction incertaine. L'automne était la saison où nous faisions le plus de promenades, comme au printemps d'ailleurs, si il ne faisait pas trop chaud. Quant à l'hiver, c'était la cheminée près de laquelle nous regardions la télévision où lisions un peu qui me fascinait ; et parfois nous nous promenions dans la vaste étendue blanche qui se déroulait infiniment à nos pieds et derrière les cheminées fumantes.

     J'étais toujours différent dans mes séjours à la campagne où même durant mes vacances à l'océan par rapport à ce que j'étais « en ville », auprès de Célestine, etc. J'étais beaucoup plus vif, bavard, turbulent, excité, en ville, alors qu'à la campagne, j'étais solitaire, silencieux, calme, méditatif et néanmoins je trouvais un plaisir qui était du charme pour le premier cas et de la gravité pour le second. Je gardais toujours un souvenir intense de ces séjours champêtres mais je ne parvins plus par la suite, me semblait-il à retrouver cette beauté passée et l'harmonie qui était celle que je connus tant de fois à la campagne et qui me restait ainsi comme un souvenir agréable.

     Entre tous ces voyages à la campagne, je revins en ville et mes rapports avec Célestine prirent un tournant rapide et à la fois un peu brutal. Je continuais à lui rendre visite – moins toutefois qu'avant (en vérité je venais surtout voir sa mère qui était admirable) - mais je l'aimais moins, Célestine ; ça c'était tassé, nous étions soudain plus distants, un peu lassés, mais qu'importe après tout ? Car nous ne cessions de nous embrasser bien sérieusement sur le lit et les jours paissaient avec un certain plaisir.

     Mais voilà que pour la première fois, je tombai amoureux d'une jeune fille brune que j'avais rencontré plusieurs fois (chez Célestine) et pour laquelle j'éprouvais un sentiment bizarre d'attraction, quelque chose qui me sembla tout à fait surprenant et que je compris petit à petit. Tout ceci fut un choc car par là même, je m'aperçus combien Célestine ne comptait pas pour moi et qu'il existât en ce monde, des personnes beaucoup plus intéressantes...

Moi qui sur la psychologie des femmes en était encore à l'âge de pierre, je venais sans le savoir à cet instant, de franchir trois millénaires d'un seul pas, d'un seul.

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