Journal du bègue

Publié le par Jovialovitch


 

     C'est un vieux souvenir que me rappelle ce soir ce ciel si clair, ce ciel de montagne glacé dont la vision n'est pas s'en m'évoquer de la mélancolie, ce ciel où éclate dans une lumière d'un blanc éblouissant quelques nuages déposés lacustrement sur le vaste azur d'un bleu intense qui ressemble encore à un ciel à l'aube, quand le soleil timide illumine de toute sa force, mais ne chauffe pas. En somme la supériorité du soleil sur l'ampoule, c'est que parfois, celui-ci, même allumé, est froid ; mais peut être est-ce infériorité. Mais je préfère le sang-froid du soleil au brulant de l'ampoule.

     Le ciel du soir, et ces quelques nuages me plongent dans un souvenir qui me hante toujours et qui eu lieu au cours de ma jeunesse. Il fait parti de ces fragments dérisoires que la mémoire sélectionne et dont on pourrait dire qu'ils sont des bouées indiquant faiblement des périodes de notre enfance paisible et oubliée. Alors, à cette époque, mes nuits étaient la chose à laquelle je ne parvenait à m'habituer, et au fond, qui m'inspirait une peur profonde. J'avais l'habitude d'ailleurs, de me lever excessivement tôt, bien avant le soleil, au moins pour veiller à ce que les ténèbres ne m'engloutissent pas ; le noir, imparfaitement noir, était pour moi l'origine de tout un tas de phantasmes terrifiant qui se personnifient dans des ombres issues de moi, des ombres qui se mouvaient. La matin, lorsque je me réveillai, j'étais rassuré, heureux presque ; non seulement une lueur opalescente émanait, voilée, dans la maison et cela m'entraînait, j'ignore pour quelle raison, à aller m'étendre au salon, sur le canapé d'où l'on voyait, car les volets étaient ici ouverts, le ciel transparent qui semblait tout proche.

     Un matin, dans le silence qui accompagnait cet instant de la journée, ou de la nuit, cet instant si calme et si inquiétant, vers cinq heures et demie, j'allai donc me coucher sur l'édredon du canapé, où je veillerai sereinement jusqu'à ce que la pièce, totalement, baignât de soleil. Or ce matin-là, le ciel était extrêmement pâle, tout à fait étonnant, il était presque gris ; et alors que je tournais la tête, moi étendu, en direction du ciel, je vis, dans un sursaut d'effroi, un vaste nuage, parfaitement immobile, un nuage rose ! qui gisait là, comme une menace sanglante et fatale, je pouvais voir que lui ; il était à quelques pieds de moi et il était seul dans ce ciel livide. Je sortis de la pièce en courant et absolument frappé par cette vision traumatisante ; j'allai réveiller maman, et terrorisée, je lui dis : « ...il y a un nuage effrayant au salon ! »

     Elle m'envoya me recoucher dans ma chambre. Depuis, je suis bègue.

Publié dans Journaux intimes

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