Les Carnets du dictateur, la sonate de Karl Schtroumpf

Publié le par Jovialovitch



 

3 de septembre

     Je n'ai jamais refait un troisième infarctus. Pourtant je ne peux pas dire que les deux précédents avaient été de vaines fatalités. Au premier, je me rendis en effet compte comme le hasard est délicieux. A cette époque, je vous l'avais indiqué cher journal, je vivais une sorte d'idylle, une féérie éveillée que berçait, tempétueux et chaud, le mistral, ce vent si noble ; aussi, comme je rentrais au bunker le soir fatidique où ma santé devait oscillée, et que je roulais dans une nuit toujours si claustrale mais tellement exaltante par le simple fait de la solitude qu'elle prodigue en même temps qu'elle étend progressivement sa rotondité froide et enténébrée, comme je rentrais dans son silence aussi, j'allumai l'autoradio qui crépitât d'abord puis duquel on discernât enfin la sonate pour piano de Karl Schtroumpf. Ensuite, tout me fut allusif, seul le son du piano qui s'évanouissait parvenait encore à mes tympans et je me réveillais bientôt dans mon lit d'hôpital, sans souvenir aucun. Il y avait une infirmière, je m'en souviens, qui me souriait au-dessus de ma tête incapable d'en comprendre la signification. Agité que j'étais noyé dans mon trouble, elle m'appuyât à plusieurs reprise sur les épaules pour que je demeurasse étendu ; elle me demanda alors quelque chose que je n'entendis pas, ou du moins, que je discernât mal. Par excès de politesse, ou pour éviter de me fatiguer davantage à la faire répéter, je répondis évasivement « ah oui... » comme j'aurais pu dire « ah bon... » ou « ah d'accord... » Elle alla pourtant du côté de ma table de nuit et pressa un bouton qui enclencha une musique qui me fit subitement tressauter ; je reconnaissais la sonate de Karl Schtroumpf qui d'une part me ramenât à la mémoire un nuage de souvenirs et qui d'autre part, reprenait précisément là où elle s'était interrompue. Quelle jouissance que d'être confronté à ce genre de hasard qui vous arrive comme si vous le sentiez, par une espèce d'intuition qui font qu'à ces instants-là, ce n'est pas tant la musique de Karl Schtroumpf qui vous intéresse, mais bien l'évènement dans son infime et minutieuse répétition.

     Mon second infarctus me remit en contact avec tout un pan de mon existence passée qui me revint en flashback d'une façon si impensable que j'en éprouvai une inextinguible et fougueuse ardeur, et ce par tout ce qui se déploie derrière, derrière, il faut bien le dire, un détail pour nerveux. Car chacun sait que les nerveux voient d'innombrables choses et que les autres n'en voient pas le quart. Cette aptitude supérieure peut alors entraîner chez lui des conséquences démesurées ; il en est ainsi dans mon cas.

     Mais auparavant, je voudrais m'arrêter cher journal, à mon état de santé actuel qui m'interroge, qui pour ainsi dire m'alarme, autrement dit, me terrorise ; je ne sais pourquoi, je suis devenu un être fatigué, excessivement ; pour écrire un mot de ces confidences précédentes, m'a-t-il fallu un grand effort de concentration, et ce aussi pour les plus insignifiants détails - je me suis exténuer à écrire les ponctuations, et les mots de liaison m'ont achevé - ; j'en viens à croire à un état d'une faiblesse qui ne m'avait encore jamais touché de cette façon, mais qui, je le concède franchement, ne m'inquiète pas tout à fait, je devrais même affirmer ici ma joie un peu mystique bien entendue, une sorte d'excitation subite, un délicieux sentiment, une ivresse intermittente...serait-ce les prémisses d'un troisième infarctus ? J'en palpite déjà !

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