Journal d’un neuropsychiatre amateur de bouillabaisse

Publié le par Jovialovitch

     Un cas, ma foi fort intéressent a été ma foi fort récemment interné dans une des mes, ma foi fort lactescentes cliniques neuropsychiatriques. L’homme (je l’appelle ainsi dans la mesure où j’ignore son nom et où son numéro de matricule m’échappe), ou plutôt le malade, et par la force des choses, mon patient, et du même coup, mon client ; est donc ainsi atteint d’une maladie absolument fascinante et qu’il conviendrait d’appeler dans un langage on ne peut plus scientifique, et pourtant parfumé des douces senteurs d’une poésie pascalienne teintée d’oxymore : le délire construit. Certes, cela plonge à vue de nez dans la plus clignotante perplexité ; car n’est-ce pas, un délire est proprement ce qui n’est pas construit. Si vous prenez le mot « délire », et que vous essayez d’en établir la plus stricte et objective définition, on peut être plus ou moins sûr que le mot « construit », ne sera point utilisé. Or précisément, dans le cas de mon client, le délire est construit. Cet homme est fou, il barbotte éperdument dans la démence la plus délirante, et pourtant, bien que nous sachions ce qu’est un délire, que nous connaissons toutes les nuances et les plus fines significations de ce terme issu du vocabulaire freudien, et bien en effet : il convient, sous le soleil de la plus pur conscience professionnelle, de parachever ce « délire » du vocable « construit ». Je sais, je sais. Ça n’est pas simple à admettre. Le délire normalement : c’est quand un homme vois des corbeaux véliplanchistes partout autour de lui et qu’il hurla à tue-tête pour les faire fuir qu’il va « se moucher dans le  slip de Dick Rivers ! » Voilà qui n’est pas construit. Par contre, là, avec ce nouveau client, il s’agit bien d’un délire construit. Ce type est fou, mais il évolue pourtant dans la logique la plus parfaite. La plus implacable. Le plus froide. Sa folie, c’est même ça : un excès de logique. Et convenez-en : la logique, c’est construit.

         Moi, au départ, la première fois que je suis allé le voir, c’était  avec l’idée innocente et candide d’aller faire causette avec une fou furieux, qui, comble de technicité schizophrénique, ne construisais pas ses délires. Et les premières secondes de notre premier contact me confortèrent dans cette mécanique de l’esprit. Celui-ci en effet pêchait dans la baignoire de sa chambre. Ah ! je veux bien être pendu si ce type construit ses délires ! Voilà un dingue, un cinglé, un irresponsable, qui est assez con pour pêcher dans sa baignoire, me dis-je, avec rire et convulsions zygomatiques respectueusement maîtrisées. Evidemment, je ne décelai dans ce comportement manifestement débile aucune trace de construction. Il s’agissait bien d’un délire pur et dur. Un con pêche dans sa baignoire. Aussi, ai-je procédé à cette vieille technique qui consiste à mettre malignement le fou devant ses propres contradictions. « Alors, lui demandai-je malicieusement, ça mord ? » Le patient, qui avait jusqu’alors la tête rivé sur l’eau immobile de sa baignoire, détourna le regard vers moi. Je croyais avoir appuyé la où ça fait mal. Le point sensible. La corde raide. J’imaginai le flux et le flot de questions qui agitaient alors son esprit médiocre d’oiseaux mangeur d’insectes. Voilà cependant la réponse qu’il m’a faite : « Si ça mord ? Mais non imbécile !... puisque c’est une baignoire ! » Et là dessus, il continuait d’attendre, devant sa baignoire. Deux mots : Délire Construit. Frappé, je sortais de sa cellule, et commandait à bouffer chez Bouillabaisse 30 minutes

Publié dans Journaux intimes

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