Journal d'un écrivain de titres

Publié le par Jovialovitch


 

            L’écriture, c’est toute la vie ; et comme on ne devient pas écrivain mais on l’est, il me faut bien accepter cela. Ca n’avait pourtant pas très bien commencé cette semaine, j’essuyais alors une sorte de lassitude, un ennui qui m’avait enlacé depuis quelque jours et qui m’avait plongé dans un quasi-mutisme littéraire ; je restais des heures devant ma feuille et ne trouvait pas même l’énergie de la remplir ; au lieu de ça, je gribouillais bassement dans la fatigue et la consternation. Heureusement, j’eus un réveil prodigieux hier ; et me voilà reparti dans les embruns grandioses et grandiloquents de mon œuvre. Dès lors, une effusion d’idées m’a emporté par-delà toutes les capacités que je me prêtais auparavant. J’en venais dans une impression de force redoutable à en produire un à la minute. Mais, inutile de le préciser, il est naturel que plus qu’un climat, un environnement m’est indispensable pour m’adonner à la création. Ainsi affectionne-je la solitude, seul lieu où je puis concevoir, de même que rien de plus que la campagne ne m’inspire. Enfin, comme tous les artistes, j’ai mes petites habitudes et mes préférences ; c’est chez moi la tranquillité et l’espace où je puis me répandre physiquement. Auréolé le tout par un verre de cognac et c’est parti pour des heures de réjouissances intellectuelles et de sommets de fécondité. Tous les titres que je trouve, je les note immédiatement sur une quelconque feuille dans un, certes, désordre total ; feuilles que je regroupe ensuite dans une pochette noire sur laquelle est inscrit « Titres of this ». Cette pochette ne me quitte ensuite plus ; elle contient, excusez du peu, l’essentiel, devrais-je dire, l’essence de ma vie. Car les titres, c’est ma vie.

            Parfois, mes journées sont d’une telle intensité, qu’il m’arrive fréquemment de ne plus manger. En cela, j’aime à me comparer à Mozart qui était doté d’une telle énergie qu’il en est vite mort, le bougre. Par ailleurs, je mets un point d’orgue à ne pas travailler les soirs que je consacre principalement à la lecture. Bien sur, il est fréquent que des illuminations, des coups de génie me saisissent ; la feuille et le stylo perpétuellement déposés sur ma table de nuit s’en trouvent justifiés. Et d’autant plus que ma riche activité cérébrale m’a fait insomniaque. Vous comprendrez alors facilement mes accès de fatigue et d’essoufflement. 

            Mon entreprise me fascine. Je suis imprégné d’un seul dessein, suprême dessein, celui du titre parfait. Je veux tutoyer la perfection, faire de la beauté ma cavalière, embrasser le sublime et dépasser tout notre héritage titreux. Et autant dire que je ne manque pas d’illustres prédécesseurs : Stendhal, Vian, Musset : Le Rouge et le Noir, L’écume des jours, On ne badine pas avec l’amour ! Mon dieu, comment pourrais-je parvenir à ma fin !? Aucun des quelques millions de titres que j’ai composé à ce jour n’arrive à la cheville de l’une de ces intitulations. Quoique. Je détiens toutefois, il est vrai, malgré mes dires, quelques petits bijoux dont la simple prononciation ne pourra jamais dulcifier ma ferveur : Phase terminale à Bamako, Opération Bituron, Pas de perfusion pour Dracula ; autant de titres issus de mon cerveau fécond. Encore un dernier auquel je tiens plus que tout, un titre qui par lui seul prouve que je côtoie bel et bien la perfection, et démontre dans un éclat lumineux et aveuglant l’ampleur de mon génie, un titre si profond et divin que dieu existe en ma seule personne… : Les charentaises de la submersion !

Allez-y, prenez du plaisir.

Publié dans Journaux intimes

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