Journal d'un prof de littérature célinien

Publié le par Jovialovitch

         Ah, non mais y’a pas à dire !... Ni à redire ! L’enseignement supérieur : c’est rien qu’une vaste couillonnade !... un repaire à marlous !  Paf ! Moi, je le dis !... Badaboum ! Et j’ai beau en faire partie, c’est pareil ! Sans blague ! Ah non… quel dissolu scandale ! Quel chahuteur tintamarre ! Quelle émotion !... une honte, entendez-vous ?!... une honte ! Un affront ! Parfaitement !... Bing ! Oh, quelle turpitude ignominieuse ! Ca sent la déchéance ! Aïe, l’abjection ! Comble de désolation ! J’en suis confus ! J’en frétille ! Pouah ! Blanc comme une pâte, que j’en suis !... un malaise, qu’il m’en vient, de vilaine vergogne ! A vomir de la flétrissure ! Dément échec et démenti démérite ! Crainte et contrainte sur l’opprobre ! Mais qu’on leur pisse à la raie ! Pour la pudeur ! Pour le respect ! Pour le génie, je le crie : « Aux chiottes les coincés du cul ! »
        Tu ne vas pas me croire. Pour la dixième année consécutive, voilà que je demande à mes insignifiants supérieur hiérarchiques la permission d’étudier un texte de Céline dans mon cours de littérature… Je leur explique que Louis Ferdinand, il a un peu marqué la prose, que sa « petite musique », c’est un grand moment, que c’est le plus grand écrivain français du vingtième siècle, qu’on à pas le droit déontologiquement de passer à côtés du clampin qu’à écrit une embouchure du gabarit de « Voyage au bout de la nuit ». Et là, comme je le craignais, mes collègues, les impies incultes, voilà qu’ils ne sont pas bien chauds…
          Ils minaudent, se tordent le tronche en élégiaques grimaces, et ressortent finalement de leurs interminables contorsions faciales une réponse négative sous prétexte que je n’ai aucune raison de changer mon cours. Moi, je sens que je vais devoir me battre comme un diable, pour l’imposer : je veux enseigner Céline à mes étudiants ! Et pour le moment, il n’y est pas Céline, dans mon cours : va falloir l’y rajouter ! Alors ils me répondent que non. Qu’on ne sait pas où on met les pieds, que c’est un trop gros risqué. Hein ? Mais je le connais par cœur, Céline, je sais bien où je mets les panards ? Alors, il me dise que mon cours sur les Rougon-Macquart est formidable, qu’il ne faut pas l’en changer. Du tac au tac, je répond que ça fait vingt ns que je me le tape chaque année, et que le Zola, il commence à me pomper le jonc sérieusement ! Là, tu vois, je fais fort, je me lance dans le lyrisme ! Pouah ! Je fais du Malraux ! J’explique le génie de Céline, son écriture unique au monde, la puissance de sa vision du monde, la fulgurance de son style inimitable, je clame en transpirant d’émotion le génie littéraire inégalé de cet immense prosateur ! Et je termine en disant que je dois le faire lire aux étudiants, qu’il me faut faire un cours sur lui ! Par pitié bon dieu !
           Là, ils se concertent. Ils se regardent. J’ai touché la corde sensible. Ils hésitent tout de même. Puis après, le directeur, il vient vers moi, et tout triste, il me dit : « Cher collègue, nous comprenons votre passion pour Céline et ses écrits. Et nous en pouvons que saluer votre ardeur à l’enseigner dans vos cours. Nul doute que vos analyses seraient forts passionnantes et que l’œuvre célinienne regorge de souffle et d’inventivité. Seulement, il semble que vous oublier une facette de cet auteur, aussi talentueux soit-il : il était antisémite !  » J’arrête là, ça me dégoûte ! Ben oui, il était antisémite Céline ! Et puis quoi encore ? Kant, Schopenhauer et Voltaire aussi étaient antisémites ! C’est dégueulasse !... Et bien sûr, « A la recherche du temps perdu », ça pose de problème à personne, qu’on l’enseigne  !... Et pourtant, Proust : il était homosexuel !

Publié dans Journaux intimes

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C
Ah ben me voilà rassurée ! Je me disais aussi que la date de naissance inscrite sur le profil ne pouvait qu'être bidon ! A moins que Rimbaud ait eu le temps de lire tous les philosophes et les poètes avant 17 ans, ça semblait un peu louche...<br /> signé : Adèle Blanc-Sec
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