Les Carnets du dictateur, la guerre

Publié le par Jovialovitch


13 de mars

     Une exaltation sans fin m'habite maintenant et je crains qu'à trop éterniser mon présent, tout cela retombe finalement, me détournant de mon avenir au moment même où j'étais près à l'assaillir comme au combat, dans la fougue des grandes heures, des heures d'ivresse, dans une lutte incessante, me faisant oublier tout ce qui est passé et passe encore derrière moi.

     Après quelques mois de voyage à travers les temps anciens je suis disposé à laisser ces moments passifs pour ce qu'ils sont ; ils n'ont fait, finalement, que montrer que tout fini par échouer. Or moi, je ne m'intéresse qu'au triomphe : et pour commencer, il me faudrait m'évader pour ne pas mourir ici ; aucun homme d'ailleurs ne mérite de mourir à cause de la loi. L'encombrant dans la loi, c'est qu'elle est la même pour tous. Moi-même pourtant, qu'ai-je à voir avec mon voisin de cellule ou avec n'importe quel idiot dont j'ai actuellement honte de partager les mêmes règles, alors même que ce voisin-ci ou cet idiot-là ne sont pas plus, tous autant qu'ils sont, préoccupés par l'avenir ; or moi, je le suis, je le suis même contre l'humanité toute entière.

     Et pourtant, bien que tout orienté vers la possibilité de sortir de ce cachot, et vers encore mille choses après, je ne puis totalement repousser des souvenirs qui me reviennent comme des boomerangs ; c'est souvent en effet que je repense à La Rochelle, ma petite salope ; si seulement je pouvais la revoir, une fois au moins ! je crois que je chialerai comme au temps de C. et de ses draps ; il n'y aurait vraiment que Venise pour rivaliser avec La Rochelle.

     Par ailleurs, et pour des raisons fort étranges, et en tout point insondables, je repense souvent à Célestine, la fille à la tête plate qui s'était immiscée dans ma vie de poupon sans que je ne lui en donne jamais la permission, et qui m'abandonna une décennie plus tard, tandis que le jeune garçon se substituait au poupon vieillissant. Il n'y avait jamais eu avec elle de rencontre ; elle s'était imposé à moi comme une évidence ; cependant, il y avait eu une séparation et c'était là en somme que se déroula la rencontre. Aujourd'hui elle m'obsède comme une énigme. Et le simple fait de songer à nouveau à cela me rendort, et atténue toute ma force ; je retrouve toute la saleté de cette oubliette où l'on ne me nourrit plus, et où je croupis lamentablement tandis que je rêve d'un destin impérial ; quelle sottise que tout cela, je préfère encore séjourner à jamais chez les morts que de vivre ici éternellement au rythme de mon imagination sans issue ; je pourrais bien écrire tous les chefs-d'œuvre que l'humanité attend, aurais-je pour autant vécu ? Vivre est la chose la plus impropre qui soit, et ce n'est pas en demeurant dans cette prison que je vais donner un sens au mot vivre ! Qu'on me sorte delà ! J'en appelle à vous tous qui m'entendez derrière cette porte, laissez-moi passer, je détiens entre mes mains l'avenir qui vous manque à tous ! Déconnez pas les mecs ! Ce n'est pas le hors-la-loi que vous libérerez, mais le dedans-la-vie ; laissez-moi passer, ouvrez-dont cette porte, votre geste ne sera pas celui d'un criminel, mais d'un génie qui aura compris qu'en ma personne réside un sauveur. Qu'est ce que vous voulez de mieux qu'un sauveur ? Non, en vérité je ne suis pas fou, je suis simplement ivre de colère et du désir insatiable de déverser enfin, lorsque cette porte sera béante, toute l'avenir que je retiens de plus en plus difficilement et qui me fait étouffer maintenant si aucun d'entre vous n'a l'idée heureuse de faire place à Monsieur le dictateur de ces dames ; que personne ne sorte de cette terre avant que moi-même je ne sois sorti de ce vase clos qui pourrait bien être le seule endroit sur cette planète où le soleil à sa concurrence la plus tenace. Avez-vous au moins des oreilles pour m'entendre ?

     Ainsi j'hurlais toute l'après-midi, désespérément, dans l'attente vaine d'un messie. Au lieu de cela, c'est un médecin qu'on fit venir ; il jugea que je devais simplement me reposer. Me reposer ! Mais ce n'est pas un homme qui s'apprête à sortir de cet endroit, c'est une tempête ; c'est un ouragan qui se prépare et je préfère encore qu'on m'oublie ; le calme avant la tempête, c'est cela cher journal, toi qui ne m'a jamais rien dit que du silence.

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