Journal d'un maître qu'aurait du chien sans le faire exprès

Publié le par Jovialovitch

     J’en suis malade, sacré nom d’un chien… J’en dors plus la nuit… J’en ai honte… Vraiment, j’ai fais le con ! C’était un soir. Au milieu de la nuit, même. Comme souvent à ces heures-ci,  je décide de promener mon chien. J’aime bien baguenauder comme ça, tout seul, la nuit, et puis au moins je sais que je retrouverai pas demain ma cuisine souillée d’immondices malodorantes, relativement peu accueillantes au saut du lit. Ainsi donc, je réveillai mon petit cerbère mignon tout plein, petit bichon craquant, qui dormait paisiblement dans sa petite couchette carminée, et nous sortions nous promener tous les deux dans les rues silencieusement endormies de ma trop grande ville. Comme à mon habitude, je n’avais embarrassé mon bellot canidé d’aucune laisse, ni d’aucun autre moyen d’aliénation canine et comme à la sienne, mon adorable clabaud tout croquignolet marchait devant, avec ses petites pattes blanches frétillantes en dessous de son corps de saucisson…

      Là, dans la nuit bleue, sous la lumière tamisée de réverbères mielleusement bigarades, en n’ayant plus pour seul toit que la voie lactée, je me laissais aller goulûment à d’étranges rêveries, faites de propos philosophiques, de femmes nues et de programmes télévisés. Je n’y prenais pas garde, mais mon marmouset molosse, m’avait abandonné. Je me retournais, l’appelais, usais de mon embouchure buccale pour émettre habilement quelques sons étranges qui faisaient habituellement figure d’appels, que rien n’y faisait : il était loin. Rapidement, je retournai vers chez moi dans un fièvre inquiète, mais relativement confiante, et quelle ne fut pas ma surprise, de le trouver là, joyeusement assis devant mon immeuble ! Il m’attendait ! Oh le grigou, que je me suis dit ! Sale roquet ! Alors comme ça on n’en fait qu’à sa tête ? On va où on veut quand ça nous chante ? Pouah ! Je vais t’apprendre, moi, ce que c’est qu’un chien, l’ami, et tu vas voir ce que c’est qu’un maître ! Sale clébard indiscipliné, tu vas voir...

        Et là, par je ne sais quelle folie furieuse, pris d’une rage fiévreuse, je saisis mon délicat barbet par la peau du dos, comme ça, vlan, d’une main, je le porte bien haut vers ma tête, en le tirant par les poil ! Hop ! Et là, sadique et violent, je le jette par terre… d’un seul mouvement, comme un jouet balancé, une peluche maudite… Boum ! Bazardé le caniche ! Je l’éjecte, et cruellement, vers le sol… la pauvre bête, mon bel animal… Il s’écrase par terre, dans un écroulement brusque et affreux, sur le dos, qu’il tombe, sur le crâne peut-être… il étouffe une douleur atroce doublée d’une peur insoutenable dans un aboiement contenu, presque indigné, rempli d’une rage coléreuse et souffreteuse. Moi, je suis fou… Je le regarde se relever tristement, malheureux, le corps tout près du sol : il se montre inférieur, soumis par la frousse terrible que lui inspire un maître despotique dont il ne comprend plus l’injuste sévérité. Il rampe, les yeux en coin, larmoyant, avec la  queue qui s’étiole par terre. C’est déchirant. Je m’en veux, bon dieu, je suis allé trop loin….

        Sonné, il part, il me fuit, bordel, il traverse la rue, et il s’en va, loin de moi… Je le poursuis, je l’appelle, je lui ordonne de venir… Je me m’accroupis par terre, dans les rues, à trois heures du matin. Mais il a peur. Trop. Il en peut plus. Il s’éloigne. Il court en avant. J’ai peur de le perdre, de ne jamais le retrouver, ou même qu’il se fasse écraser comme un rien. Je sens les larmes qui me montent dans les yeux. Je vais le perdre. Il ne me pardonnera jamais, mon bichon ! Sacré nom d’un chien, je le voix plus. Où qu’il est ! Y’a un carrefour… « Excusez-moi les gars, vous auriez pas vu un chien, qui passait par là ? » Oui, c’est ça, il est par las bas… OK merci ! Je cours, je détale, je brûle le pavé comme jamais… Mais je vois, rien ! Bon dieu, où il est !? J’ai traversé toute la ville, je suis crevé… Je tremble partout… Mon tout petit riboulon de tendresse... Et puis, je me dis, il a du retourner vers l’appartement ! Alors j’y retourne. Et il y est. Quand il me voir, il fuit ! J’ouvre la porte. Il rentre dans la cage d’escalier. Je le prend dans mes bras, et je lui fais le plus gros gâté de son existence. Mais je le sens bien, il est comme un verre qu’on a fendu, et c'est moi le maladroit.

Publié dans Journaux intimes

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