Journal d'un Fatigué

Publié le par Jovialovitch

     Ce n’est pas facile à dire ou à expliquer. D’ailleurs, je ne sais même pas moi-même de quoi il en retourne. Et pour ainsi dire, je n’ai pas envie d’y mettre un mot dessus. Parce que ce serait peine perdue : y’en a pas. Mon sentiment, il est à moi, à personne d’autre, je suis le seul à le ressentir, et j’aurai beau chercher dans le Littré tout les terme possibles et imaginables que je n’exposerai jamais ce que j’ai dedans mon cœur.

       A vrai dire, depuis quelques jours, je me sens fatigué. Pas de cette fatigue qui rend les paupières lourdes après une grosse journée, ni de celle qui rend les muscles roides et rouillés après une bonne randonné pédestre. C’est une autre fatigue. Supérieure. Une fatigue qu’aucun mot ne traduit, tellement elle est unique. C’est une fatigue qui m’engourdit. Une sorte d’harassement de vivre. D’exister. C’est vrai qu’au fond, c’est fatiguant. C’est pas courageux, de vivre. C’est pas héroïque…ça non ! Mais bon dieu… c’est crevant !

       Moi, j’en peux plus. D’abord, j’ai plus franchement le goût. Ce me dit plus rien, le vie. Elle m’ennuie, la vieille mégère, qu’elle aille se faire foutre et qu’on en parle plus. Elle me fait chier. Elle m’emmerde. Je la méprise. De tout mon cœur. Sans blague, j’ai demandé à être là…. à exister… à être ? Jamais ! Je suis, bordel ! Je suis ! Je pense ! Plus j’y pense, plus je suis ! Plus je pense que je pense, plus je suis ! Et plus je pense que je suis, plus je suis ! C’est ça la fatigue… Une insupportable fatigue d’être, de sentir, de voir, de toucher les choses… De penser, de tendre vers l’extérieur, sans cesse. De sentir en soi-même, des effluves d’âmes, des mouvement de cœur, de se sentir là. Une chose vivante et pensante. De voir son pied, sa main, et de se dire, que ça, c’est « moi »… Je suis fatigué, de sentir en moi une tension, sans cesse, quelque chose qui vibre, qui frétille, des fois, qui s’arrête, et puis des fois qui trépide plus vite, qui m’en donne des frissons, de l’amour, de la mélancolie ou une envie de me gratter… qu’il s’arrête, ce vieux machin…

       Cette fatigue, elle est lourde, elle est pesante, elle ne part pas. Elle indissociable de la vie. Comme un maître avec son chien. Comme un chien avec ses puces. Je suis fatigué ! Alors je dors… Je dors parce que quand on dort, on n’existe plus. Et on ne s’en rend même pas compte. C’est d’ailleurs pour ça qu’on existe plus : on ne se rend plus compte de rien. On ne pense plus à rien. Le sommeil, c’est une petite mort. Ceux qui dorment souvent, au fond, comme les lève-tards, ils font un pas vers le néant. Ils veulent s’en approcher, du néant, y rester le plus longtemps. Dormir, c’est suspendre la fatigue, mais c’est pas se donner de l’énergie. On est toujours plus fatiguer au réveil qu’au coucher ! Faut dire, c’est pas facile de revenir à la réalité, de repartir se faire chier, d’aller torcher une journée de plus dans une cohorte débridée de semaines de mois d’année, sans but et sans sens, et dont on ne comprend rien… Je suis fatigué d’exister, et de n’être au bout du compte qu’une giclée de rien dans l’univers… une raclure filante qui passe dans le néant. Une insignifiance, voilà ce que je suis ! Une insignifiance qui voudrait s’en aller du tout. Il paraît qu’en dehors de lui, il n’y a rien. C’est là ma place. 

Publié dans Journaux intimes

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