Journal d'Herbert von Karajan

Publié le par Jovialovitch

        Sacré Beethoven !... Si j’avais été là, dans son dos, lorsqu’il écrivit cette foutue troisième symphonie, je me serai permit de lui faire quelques petites remontrances : « Non mais oh ! C’est contre les lois de l’harmonie ce que vous me faites là !... Ne confondez pas les octaves et les demi-tons diatoniques, mon vieux ! On frise la syncope ! Que faites-vous de la contrapuntique, mon cher ? Et l’anacrouse, c’est du pipeau !? » Ah ! Sacré Beethoven, en voilà un grand ! De ceux que je préfère, avec Brahms et Wagner, assurément ! Et puis Mozart ! Eux, ils faisaient de la vraie musique. De la grande. De la pure. De celle que je ne parviens jamais à orchestrer : j’y arrive pas ! Impossible… D’ailleurs, celui qui atteint tous ses buts a sans doute mit la barre trop bas…  
        La musique, au fond, elle n’existe pas. Pour personne. C’est rien, la musique. C’est l’art du rien, du néant pas excellence : la quintessence même de l’évanescence ! Pour dire, quand j’orchestre, j’ai les yeux fermés ! C’est pour mieux la sentir et la recueillir dedans mon âme, la musique. Parce qu’il faut savoir la capturer : elle n’existe au spectateur que lorsqu’il la perçoit. Ecouter de la musique, c’est comme chasser, attentif, concentré, tout ouïe…  c’est s’oublier… c’est s’envoler… c’est entendre un langage céleste, qui ne vient de nulle part, qui tinte aux soucis, qui sonne et sautille, et qui n’a de chaire que lorsqu’on l’entend, et qui vous parle aux esgourdes comme un déclaration d’amour. La musique, c’est une muse, qui gigote plein les ondes de note en note, qui affile les bruits comme des larmes, avec des doigts de fée et un brio de feux. La musique, c’est un son, qui vient des profondeurs de la Terre, qui surgit des tréfonds du noir, qui nous vient des tripes, et qui parvient à la lumière, tout droit venue des pianos du cœur et des violons de l’âme. La musique, ce sont ces bruits, qui flottent, suspendues, qui soufflent, cabriolant, qui sifflent, clinquants. C’est une vibration en ribambelle qui gambade dans l’air, qui s’y promène, et qui sème dans le champ de l’émotion des trilles voluptueux et envoûtants, d’où naissent instantanément des flots d’harmonies chuintants. La musique, c’est le bruissement du vent dans les feuilles d’un arbre à la fin du printemps, où se tricote des gammes de dièse en abondance ; c’est un cri perdu dans la nuit, quand on ne voit rien, et qu’on entend que lui ; c’est une « ombre de la brume où se perd la mémoire » ; c’est l’essentiel. La musique, c’est voir le bruit, c’est sentir le son, c’est toucher du phonème et goûter de la note. La musique, ça rend les choses plus belles qu’elles ne le sont ; c’est la bonté, c’est la beauté !
       Moi la musique, c’est toute ma vie, c’est ma chérie, ma toute aimée, mon amour… c’est la femme de ma vie. Toquades, toccata, sonate, concerto, symphonie, requiem, gigue, opéra et tout ce qui s’en suit ! Amour ! Sublime ! Céleste ! J’ai tout dirigé, des heures de musiques, des jours et des mois, à n’en plus finir ! Travail, travail, ce fut toute ma vie, et ce fut merveilleux ! J’en ai vu se cabrioler des tierces et des brèves pointées ! Toujours sévère et pointu, silencieux ! Ma baguette, elle en en a fait des kilomètres dans l’air ! Ah ! Mais je me sens fatigué… Elle est vive la cadence, quel rythme ! Tonique et trémoussant ! J’ai trop agité les bras, et sué de la vocalise… je crois qu’il est tant que j’aille rejoindre une autre musique : celle du silence !

Publié dans Journaux intimes

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P
Ce fut un très grand Karajan. Malgré sa soumission au nazisme. On s'en fout parce qu'il a su animer avec une harmonie sans pareille les plus immenses des compositeurs.<br /> Et surtout le Ring que je ne peux écouter que par lui. J'ai entendu d'autres versions, il en est à jeter (Boulez), mais la sienne: un miracle de beauté. Souvent quand on dit Wagner, on pense cuivres tonitruants... et pourtant, avec 5 notes de rien du tout on atteint le Walhalla.<br /> J'ai tout à coup, parce que tu as parlé des profondeurs de la terre, envie d'entendre Erha.<br /> Bises Jovial.
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L
Confondre une octave et un demi-ton, pétée de rire ! Moi ce qui me fait mal aux dents, c'est que la Marseillaise commence par une anacrouse. <br /> J'aime bien celui qui atteint ses idéaux parce qu'il a mis la barre trop bas, dans une portée de musique on peut penser à la barre du sol. :o)
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