Chronique d'une métamorphose

Publié le par Jovialovitch

Sculpture-visage-musee-louvre-copie-1.jpg         Le bloc de marbre est gros, mastoc, emprunt d’une pesanteur massive qu’il lui confère une impression d’opulence pleine et râblé, lourde et brute. Il est rugueux, râpeux et raboteux, d’une texture dure et écailleuse, à l’âpreté compacte et granuleuse. Il forme une sorte de cube, vulgaire et laborieux, cahotant de rudes circonvolutions irrégulières… Il ne dessine aucune forme géométrique, il est une boule condensée de griotte racornie, façonnée par le hasard, le vent, la pluie et le temps qui passe. Il n’a pas vraiment d’aspect, c’est rien qu’une grosse pierre, ramassée et touffue : il s’agit là d’une matière. Du marbre. Rien de plus.

     L’artiste, silencieux, debout devant le gros bloc de cipolin, le regarde. Il l’observe. Il le scrute. On pourrait croire qu’il l’épit, comme une proie. Comme s’il voulait le saisir, ce bloc, l’attraper, d’un seul geste, fruit froid et méthodique d’uns stratégie sculpturale. D’autres verront dans cette attitude, silencieuse et recueillie, dans cette lente contemplation, comme une investigation : notre homme cherche à voir le fond de ce bloc, ce qui cache en lui, la fine et luisante étincelle sublime qui s’y dissimule depuis des millénaires. C’est ça, qu’il regarde.

       A un moment, presque soudainement, l’artiste s’avance vers le bloc : peut-être a-t-il enfin vu cette étincelle, peut-être s’est-il jugé prêt à aborder cette proie immobile, et qu’il sait pourtant si farouchement résistante ? A présent, il la tâte, il la palpe, la pierre, comme une jeune fille qu’on tripote. Il le fait avec douceur, calme, concentration. Il tourne autour, la caresse, il s’y colle, et semble la respirer, la sentir, comme pour mieux la comprendre, dans tous ses coins, dans toutes ses facettes. On dit même qu’il peut lui parler, à cette grosse pierre. Il lui dit quelques mots, comme pour la rassurer, lui expliquer, lui dire que tout va bien se passer….

       Ensuite, le voilà qui arrive avec son burin. De sa pointe, usée mais piquante, il vient donner quelques premiers coups dans la pierre. Bing !... il en dégringolent de petits morceaux de caillasse dispersés. Le travail a commencé : il va enlever à ce bloc compact un peu de sa matière pour en faire surgir une forme… Le travail sera long, besogneux, et toujours périlleux. Le sculpteur veut comprendre la pierre, il faut qu’il fasse preuve d’empathie envers elle, qu’il tente de  sentir à l’avance sa réaction. C’est le plus difficile dans son métier, assurément. De son ciseau, il continue à enlever de la matière, il sait où il veut en venir… Il sent à l’intérieur de ce bloc marmoréen bâtard et laid, une forme belle. Il sait que se dissimule là-dedans, une belle forme…

       Mais la pierre résiste. Elle ne veut pas se transformer en une forme. Elle n’en est pas une. Elle est par nature, un tas, un bloc, une masse, rien de plus. Elle résiste. L’artiste souffre. Mais il persiste. Aussi, connaît-il son travail, et opiniâtre, compte bien creuser ce bloc jusqu’à ce qu’il devienne œuvre, comme on noircie le papier pour qu’il soit une lettre d’amour. Le sculpteur y passe des jours, des semaines, s’efforce et s’épuise dans ce labeur pénible et harassant… De jour en jour, le bloc s’amincit, plus frêle, plus fin, il en gagne en superbe.

       Il y avait dans ce bloc de marbre, comme une puberté : les lignes pleines et voluptueuses de l’œuvre s’indiquaient dans les innocentes grosseurs de la masse, en une hésitation de forme d’une grâce prometteuse, et d’où se dégageait peu à peu la création. Au fil des jours, l’œuvre prenait le pas sur la matière, et la création artistique finissait par dominer : le processus créatif atteignait alors pratiquement sa maturité… Il surgissait maintenant une œuvre : une Vénus. C’était donc elle, qui se cachait dans ce bloc ? C’est elle que le sculpteur avait repéré. C’est ça, que le bloc refusait de devenir ? C’est elle, à qui le sculpteur à montré le jour, comme on enlève un rideau rouge d’un écran de cinéma ? C’est elle, qui depuis si longtemps, demeurait là, silencieuse, dans ce gros caillou, en attendant qu’on vienne là délivrer ? Eh bien alors, il n’est rien à d’autre à dire que : Bravo l’artiste !...

Publié dans Nouvelles enivrées

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Votre graphomanie talentueuse m'épuise mon cher Jovialovitch !
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