Journal d’un séduisant martyr de la stomatologie

Publié le par Jovialovitch

Martial.jpg       La souffrance physique est quelque chose que les mots ne peuvent pas exprimer… On aura beau dire soixante-quinze fois de suite qu’on a  mal, que le lecteur ne comprendra pas… et c’est normal, puisqu’il n’a pas mal, lui… Et un mot, ca n’est rien qu’un mot… J’écris, cher journal, ces lignes dans la confusion, la fatigue et la douleur… Tout cela va être confus, lénifiant, bâclé et tout ce qu’on veut… N’empêche que tu ne pourras pas me dire le contraire : tenter d’écrire une heure après s’être fait arracher les deux dents de sagesse de droite, ça n’est pas très commode… C’est fou au fond, comme la bouche prend de la place dans mon corps : elle est toute petite, mais, hop, sitôt que vient s’y poindre une petite affliction anesthésiée, que je ne sens plus qu’elle… Et puis, ya un truc marrant, c’est qu’on se rend pas compte de notre bien être physique quand on est bien portant… Et ça, c’est dommage, parce que là, je mesure le bonheur insoupçonné que représente l’absence de douleur… Mais quand j'aurai plus mal, ce sera fini !
       Toujours est-il qu’à cinq heures pétantes, j’entrai dans la salle d’attente de mon sympathique stomatologue, personnage graisseux et binoclard dont j’ignorai l’existence deux jours plus tôt, ce qui provoque en moi un sentiment d’émotion démultiplié bien sûr par la peur qui m’oppressait alors… Dans mon attente anxieuse, assis devant l'inévitable pile désordonnée de tabloïdes vieux de six mois, je croisai souvent, en face de moi, le regard attendrie d’une jeune femme ma foi bien mignonne, qui me dévorait des yeux avec un léger sourire énigmatique : était-ce pure moquerie à mon égard ou une manifestation faciale de l’orgasmique pétillement somatique que ma torride virilité lui inspirait ? A peine m’étais-je plongé dans mes intenses réflexions que le stomatologue me demanda de venir, en m’affublant maladroitement de l’état civile de Mademoiselle, ce que je m’empressai de rectifier, pour ne perdre mon prestige de mâle devant ma belle voisine d’en face…
      S’en suivirent un quart d’une atrocité telle, que sa simple évocation me soulève le cœur… M’enfonçant profondément dans le côté droit de la mâchoire le bout aiguisé d’une atroce seringue, il relégua un hémisphère de ma bouche à l’état blésant et spongieux d’une outre flatulente… Dorénavant insensible à la douleur pour une semaine, il creusa ma dent de sagesse avec une chignole, telle un bricoleur qui décide de monter une étagère dans sa chambre... je voyais, prêt à défaillir, des débris microscopiques de mes dents rudement limées voltiger au dessus de ma tête en une cascade inversée des plus impressionnantes… c’est ensuite avec une sorte de tenaille, qu’il termina le travail, en répétant naturellement l’opération deux fois… Aussi, ai-je décidé de garder mes deux dents de sagesse, derniers vestiges d’une puberté définitivement nimbée d’un goût d’inachevé... Reliques... Ruines... Antiquités...
       Le pire dans l’histoire, c’est que sur les quatre dents, seules deux ont été atrocement arrachées à ma gencive… Blanc comme une patte, je réglai les papiers, écoutait les recommandations médicales en tripotant ma carte vitale, soleil de ma nature… C’est là que sortie de la salle d’attente ma voisine de tout ailleurs… elle voulait les toilettes… Je voulu l’y rejoindre mais estimant que dans l’hypothèse, probable, d’un roulage de pelle bestiale et inopiné entre nous deux, je ne pourrai pas lui offrir toute l’étendue de ma masculine robustesse, je partis, avec fierté et deux dents en moins dans ma mandibule, et deux de plus dans la poche intérieur de ma veste en velours…

Publié dans Journaux intimes

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
P
Au début j'ai eu peur... je me suis dit, allez paf! une déprime.<br /> Bon, ça va mieux?
Répondre
A
J'ai vécu un truc comparable il y a 15 ans. Je te fais grâce des suites opératoires... Non, je plaisante! Le plus dur est fait...ou presque? <br /> Le monde est sans pitié!
Répondre