La pluie et son contraire

Publié le par Jovialovitch


En sortant de chez lui, Aïdigalayou ne remarqua rien d’anormal. Après tout le temps exécrable ne changeait pas d’ordinaire et Aïdigalayou n’était pas d’humeur à se tourmenter pour ça. Mais quand il eut marché un temps et qu’il se trouva au terme de sa rue, il crut être saisi d’un léger frisson. Une sorte de décharge électrique avait sollicité sa lassitude. Le ciel était alors orageux et l’atmosphère n’en était que très pesante. La lourdeur de ce temps avait d’abord fatigué Aïdigalayou malgré la frivolité de sa tenue – Aïdigalayou avait en effet eu l’audace de sortir en tee-shirt ce que la chaleur justifiait toutefois – fatigue, qu’une infime goutte d’eau avait ensuite éveillée. Cette brève larme qui s’était écrasée sur le côté droit de son cou en excita même les sens d’Aïdigalayou. Subitement, il senti poindre en lui une force insoupçonnée. Une ivresse s’emparait de sa personne et la tension qui l’habitait se libérait. Il vit soudain tout autour de lui s’accélérer. Les voitures avançaient nerveusement, les klaxons retentissaient et s’accompagnaient de vociférations émises par leurs conducteurs empressés. Les piétons s’agitaient avec panique, et traversaient comme effrayés les rues, ce qui n’accentuait que davantage la contrariété des chauffeurs anéantis. Entre temps une pluie alerte tombait dans un chaos retentissant. Les enfants pleuraient et Aïdigalayou accélérait le pas, emporté par ses congénères et leurs baguettes de pain sous le bras. Nul n’allait dans la même direction mais tous couraient dans un désordre régnant comme provoqué par un bâton que l’on remue dans une fourmilière. La menace du ciel toujours charbonneux s’était transformée en une ondée amère, dense, en longues cordes ampoulées pourtant légères. L’agitation était à cet instant absolue. Aïdigalayou, sans capuche, sans parapluie, nu sous son tee-shirt déjà trempé, scintillait de joie. Son exaltation s’illustrait dans une danse endiablée qu’il entamait tout en courant de-ci de-là dans la plus profonde solitude. Il s’arrêtait très vite et marchait brusquement avec dureté proférant dans une colère folle autant d’insanités auxquelles personne ne prêtait attention. Ensuite il se mettait à chanter, se puissance était immense, mais en vérité, il hurlait davantage qu’il ne psalmodiait. L’averse devenait torrentielle et l’on ne discernait plus les grondements tumultueux qui l’avaient précédés lorsque Aïdigalayou sortait tout juste de son humble demeure. Le temps apocalyptique réveillait toute la nervosité de la population fuyante qui, plus que jamais, voulait vivre.

            Rapidement, on vit les hommes perdre de leur entrain et le calme revint, les trombes d’eau ne redoublaient plus d’intensité et le vacarme dans lequel la ville avait été plongée s’évaporait. Les nuages se dissipaient subrepticement et la lumière en transperçait certains, annonçant, la défaite évincée, le triomphe grandiose du soleil renaissant. Aïdigalayou perdit pourtant de son ardeur et fut de retour parmi les hommes, totalement inondé, du moins en prenait-il vraiment conscience. Il s’empressa donc de rentrer chez lui se trouvant fort mal à l’aise, notamment au niveau des chaussettes. Il pluviotait toujours, bien que la cadence s’en fut largement atténuée. Aïdigalayou avait tout perdu de sa force et de sa gaieté et se sentait plutôt chétif, il avait froid et grelottait ; il eu pu même s’évanouir. Chez lui, exténué et toussotant il gagna son lit tout indisposé qu’il était.

            Il mourut le lendemain d’une pneumonie.

Publié dans Nouvelles enivrées

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P
Tu m'as rappelé un souvenir si bon, j'avais 7 ans peut-être, à la sortie de l'école un orage. Il faisait chaud, et j'ai traîné sous l'averse dans ma petite robe de coton et je chantais aussi. J'ai moins chanté quand ma mère morte d'inquiétude (elle avait une trouille folle des orages) me vit arriver dégoulinante. Je n'ai pas attrapé de pneumonie, pas même un rhume.
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