Unicité ou Totalitarisme belge

Publié le par Jovialovitch

totalitarisme-laine.jpg     Sa vie, à René, est pareille à toutes les autres… Et pourtant, y’en a pas deux comme René… Il est unique René, totalement… Dans le monde, de René, y’en a qu’un, c’est lui… c’est René, quoi… Et pourtant, et c’est là que ça en devient fichtrement comminatoire… c’est que sa vie à René, y’ a plein de gens pas comme lui qui ont précisément la même… Ils sont bien différents de René, mais ils se lèvent tous à la même heure le matin, écoutent la même radio en bouffant les même produits, et puis se lavent tous les dents trois minutes… Y’en a plein, qui comme René, partent au travail, dans leur bureau, pour faire des papiers, répondre au téléphone et pointer à la machine à café… Mais pourtant, y’en a pas deux comme René…

       Ca, c’est le genre de babioles philosophiques qui le laisse songeur, René… il se dit comme ça, l’air de rien : « je suis le seul à être comme je suis, mais je suis loin d’être le seul à faire ce que je fais » Et quand on y pense, c’est vachement inquiétant, cette histoire… Parce que dans la logique des choses, si tous les êtres n’ont véritablement pour seul point commun que le fait d’être tous uniques et différents les uns des autres, y’en a pas deux qui devraient agir de la même façon : « …évidemment, puisqu’ils ne sont pas pareils ! » Or, des hommes, qui agissent à peu près de la même façon, force est de reconnaître que y’en de plus en plus… suffit d’aller dans une usine pour s’en rendre compte… la fabrique d’épingles, ça veux bien dire ce que ça veux dire…  Font tous le même geste, les ouvriers, et puis sont tous habillés pareils… Et ils font tous les mêmes tronches de six pieds de long…celles qui sont si maussades qu’elles en feraient cailler du lait frais….

       Au fond, c’est un peu des militaires, ces gars-là… qu’il se dit, René… D’ailleurs, le jour du quatorze juillet, il ne reste pas dans son lit douillet, René : la musique qui marche au pas, ça l’intéresse jusque là… Parce que tous ces légionnaires musculeux, en uniforme et rasés de frais… à l’intérieur, ils sont tous uniques… Mais à l’extérieur, non seulement, ils marchent tous au pas de l’oie, mais en plus, ils commenceraient comme qui diraient à avoir les mêmes gueules… Ca lui fout comme qui dirait des frissons, à René…

      Mais comme tout bon père, René sait aussi cesser ses réflexions intempestives, pour tenter d’ajouter sa pierre à l’édifice de l’épanouissement de sa fille pubescente : pour cela, il n’hésite pas l’emmener aux concerts de gutturales rock stars adolescentes où des milliers de fillettes, comme la sienne, sont habillées de la même façon et récitent béatement les mêmes chansons dans un lambeau écorché de langue goethéenne… René croyait que comme tout le monde, sa fille était unique, mais en réalité, elle était uniquement comme tout le monde….    

Publié dans Nouvelles enivrées

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