L’Enfer Paradisiaque

Publié le par Lukaleo

BODRUM.jpg        La mer, c’est l’éternité liquide. Les dérisoires villages-vacances en carton-pâte qui lui font face, c’est l’opposé. Comme quoi, c’est bien vrai que les contraires s’attirent. Michel Crachouille se tient fièrement sur le balcon petit et non moins ensoleillé d’un immeuble standard et entièrement laiteux. En face de lui, la mer. Il regarde le bourg pour touristes dans lequel il s’étiole depuis bientôt deux semaines. Il est lassé, de ce décor, de cette bouffe, de ses camarades, de son quotidien. Il a beau savoir qu’il est en Turquie, au bord de la mer Egée, que ça le laisse tout froid ; au fond, il serait en Croatie, en Tunisie, dans le sud de la France, au Mexique ou en Indonésie que ce serait la même chose. Il s’en rend bien compte, Michel Crachouille : il est à Marmara Land.

        Faut dire qu’il en a fait des tas de ces villages-vacances paradisiaques où les animateurs joyeux tentent de vous mettre la vie en apostrophe, en vous plongeant tout consentant dans un univers de soleil méditerranéen, de doux massages spumeux, de danses orientales et d’amusement poilants. Il a assez de bouteille vacancière pour avoir établit dans son esprit désabusé les premiers rouages d’une autopsie du touriste occidental : le touriste en a marre de voir les mêmes gueules, de subir la même météo de merde, d’entendre les mêmes conneries qui tentent de le divertir. Il en peut plus, le touriste : il a besoin de repos, et pour ainsi dire, de changer d’air. Alors, au touriste, on lui construit partout où c’est possible de beau décor en papier-mâchés pour ses congés payés, et on se fout de l’endroit, du moment qu’il y a du soleil. Cependant, le touriste, il faut qu’il se sente pas chez lui, il faut qu’il est la véritable impression d’être à l’étranger, parce que le touriste, il veut changer d’air. Alors, on plante des palmiers. Voilà qui va le dépayser, le touriste : des Palmiers Mais on ne fait surtout rien d’autre, rien que des palmiers. Sinon, ce serait trop !  

        La bouffe locale, il ne l’a connait pas, il ne l’aime pas, donc on lui en donne pas ! La langue locale, il ne la connaît pas non plus, donc, on n’en parle pas, faut dire, ça l’oppresse d’entendre des gens qui parlent une langue qui n’est pas la sienne, en plus, ça chatouille vilainement son arrogance patriotique, au touriste. Et puis, enfin on évite tout ce qui est culture locale, contact avec la réalité du pays où qu’il se trouve. Parce que tout, ça l’oppresse, le touriste. Il veut juste du dépaysement. Et comme c’est pareil pour tous les touristes, on fait les même campings bétonnés partout dans le monde : des immeubles à la marocaine, avec le sacro-saint palmier, qui doit impérativement fleurir partout. Michel Crachouille, le voit bien tout ça. Et au fond, ça ne lui plaît pas.

        Il comprend bien que s’étend comme une gangrène croupissante sur les côtes radieuses des pays pauvres ces ornements brillants qui puent le chlore. Mais il sait bien que dix kilomètres, plus loin, sur une plage  ou dans les terres, tout ce luxe, ça n’existe plus. Et ces endroits là, le touriste, il ne les voit pas ; et puis, on les lui cache, parce que ça aussi, ça l’oppresse. Michel Crachouille ne reviendra plus ici. C’était la dernière fois, qu’il venait jouer son petit rôle de figurant dans cette vaste pantomime aoûtienne, qui donne aux occidentaux une vision d’Epinal de l’étranger tropical, derrière la mer, ou l’océan. En attendant de revenir chez lui, sur sa terre froide et désindustrialisée, il va aller faire un petit tour à la piscine, elle est un peu fraîche au début, mais on s’habitue vite. Et puis avec un peu de chance, il y aura le toboggan : "c’est bien beau la Turquie tout de même" qu’il pense, Michel Crachouille.

Publié dans Nouvelles enivrées

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