Paradoxe Allemand

Publié le par Lukaleo

rubens-le-massacre-des-innocents-1609-11-copie-1.jpg      Un jour que Vladimir Anorak sortait tremblotant de chez lui avec un poignant pincement au cœur qui lui déchirait l’âme en un bruit silencieux et fracassant. Un jour que dans les rues brumeuses de son village natal il marchait dans une direction qu’il était le seul à connaître. Un jour où la vie et la mort allaient se percuter bruyamment sur la terre des mortels, Vladimir Anorak le savait, la fin était proche. Un jour où la pluie était récemment tombée, où l’automne agonisait silencieusement, où les feuilles mortes pourrissaient sur le sol. Un jour où le froid glacial d’un hiver imminent se faisait sentir, un homme passait la ligne, franchissait la frontière pour ne jamais plus en revenir.

      Ce jour, il ne s’est pas encore passé, mais il ne tardera plus. Et ce jour, c’est une nuit. Ou tout au plus, un soir de pleine lune. Ce jour, restera comme l’un des plus importants de l’Histoire de l’humanité, car il fut celui où Vladimir Anorak décida de l’avenir de tous et du sort de chacun. C’est l’instant terrifiant où, à vingt-trois heures trente-quatre minutes, Vladimir Anorak se retrouve dans la campagne qui entoure son village natal, comme la mer entoure une île. C’est cet instant mémorable, où Vladimir Anorak, dans le noir de la nuit, et dans la brume épaisse qui le recouvre, décide contre toutes attentes de sortir du chemin communale numéro 28 pour s’aventurer solennellement dans le cœur du bois qui l’avoisine. C’est ce moment divin, où il se prend misérablement le pied dans un effroyable piège à loup. Celui où il hurle de douleur, et où, alertés, viennent le chercher les chasseurs, ceux qui aiment pratiquer cette noble discipline qu’est la chasse, mais de nuit seulement.

      C’est ce jour mythique où ils le mènent dans une Ford fiesta gris métallisé dans l’hôpital le plus proche, c’est-à-dire celui de Rosier-les-moulinettes. C’est ce jour légendaire où il pénètre le regard terrifié et le pied sanglotant aux Urgences, et où le prend en charge l’infirmière de cinquante-trois ans Micheline Bertaut, divorcée et mère de trois enfants. Oui mes frères, c’est cet instant décisif pour les hommes, où on lui bande la cheville gauche après l’avoir odieusement désinfectée ! Oui, Ô mes frères, c’est ce jour féerique où on lui met un pansement autour du bas de la jambe et où on lui conseille vivement de faire attention à l’avenir ! C’est ce jour exaltant où Vladimir Anorak se fait reconduire chez lui par les chasseurs de nuits, c’est ce jour prodigieux où il rentrera dans sa triste maison pavillonnaire, où il se recouchera, tout blottit contre sa chaude épouse, qui de tout cela ne se sera rendu compte de rien, et c’est enfin ce jour surnaturel où, songeant à son geste héroïque, il dormira en méditant qu’il venait de marquer à jamais l’histoire des hommes, et que pour l’éternité, son nom restera graver dans le marbre de la postérité.

        Oui, il s’agit bien ce jour qu’on ne pourra plus oublier, et où, parce qu’il l’a souhaité, parce qu’il aimait sa famille et son pays, parce qu’une force suprême le lui avait dicté, il est sortit de chez lui, et à changer le cours de l’Histoire, en apprenant aux yeux éblouis du monde et de l’humanité, qu’on peut tous, sans exception, lui, vous, moi, everybody : changer le monde ! Alors, merci, oui, merci Vladimir Anorak !

Publié dans Nouvelles enivrées

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