Le Cercle de Saint-Jean

Publié le par Jovialovitch

      Le couvre-chef est important ; l’imperméable est indispensable. Les mains dans les poches et le menton sur le torse, le voilà qui traverse les rues, dans le moite et froid nocturne de cette nuit d’automne. Il rase les murs, marche vite et silencieux. Il se retourne, et prend garde de ne pas être suivi ; il sait que personne ne le suit, mais il ne peut s’empêcher de vérifier quand même. Il a comme une présence dans son dos : serait-ce celle du doute et de la peur ? D’un brin de culpabilité qui refait surface ou d’un passé qui le rattrape ?... c’est peut-être aussi l’écho de ses pas, allez savoir. Les rues se font plus sordides et sombres ; l’humide est rance, l’odeur étrange. Il approche, il accélère, il voudrait arriver : quelqu’un le suit, quelque chose.

         Le voilà qui arrive. Il accoure vers la porte bleue marine, en fer, marqué du sceau fameux : « Le Cercle de Saint-Jean » ; il frappe trois coups secs, puis un autre, puis un autre, puis un autre. Ça résonne sur le métal, comme dans du Berlioz. Derrière la porte : des pas. La porte s’entrouvre : « Quel est le code ? » lui demande-t-on en chuchotant. « Fidelio ! » répond le visiteur. « Vous n’avez pas été suivi ? » « Non, c’est bon, j’ai bien vérifié ! » On lui ouvre complètement, il entre ; c’est une cour, avec un chemin de pavé qui mène vers une maison aux volets fermés : non, non, rien n’a changé. Silencieusement, et avec un profond respect, le visiteur salue le réceptionniste qui vient de lui ouvrir : « Bonjour Bruno », « Bonsoir, Bruno ». Après une longue étreinte, les deux hommes se quittent : notre homme traverse le chemin galeté, jusqu’a la porte. Là, on lui ouvre avant même qu’il n’ait pu frapper. « Ah ! C’est vous Bruno ? » « Comment allez-vous, Bruno ? » Il rentre dans un hall d’entrée, très chaleureux, avec au fond, une inscription : « Cercle de Saint-Jean »

          La personne qui lui a ouverte le prend spontanément dans les bras : « Content de vous revoir mon cher Bruno ! » « Et moi alors, Bruno, j’ai fais aussi vite que possible ! » « Vous nous avez manqué Bruno, les autres seront très heureux et surpris de votre visite ! » Là, on emmène notre visiteur dans un pièce très sombre : « Je vous laisse avec Bruno pour le rite de purification… A tout à l’heure » Le visiteur se retrouve donc seul, dans une pièce sans lumière, coite et froide. Soudain, un homme, vieux et penché, barbu, ridé, arrive un chandelier à la main, déversant dans la salle une lumière tremblante et tamisée. Il approche du visiteur : « Bruno ? C’est vous ? Mon dieu, cela faisait une éternité ! » Les deux hommes se serrent mutuellement dans les bras ; la bougie les embarrasse, il s’arrêtent. Le rite commence. « Bruno, je vous demanderai de vous dénuder exhaustivement ! »  Notre visiteur s’exécute immédiatement, et quelque seconde plus tard, il se trouve nu.

        « Bien » reprend le vieux à la chandelle, qui se baissant, ramasse un énorme sceau d’eau, qu’il renverse sur le corps du visiteur. « Vous voilà purifier, mon garçon » clame-t-il solennellement, en faisant un signe de la main droite. « Maintenant, mettez ça » reprend-il. Le visiteur enfile une sorte de braie fort saillante. « Fort bien, Bruno. Maintenant, mettez ça » Le visiteur pose sur sa tête un chapeau étrange, très élastique, comme un casque de barbare. « Très bien, maintenant passons au Pediluvium » Les deux hommes, à la lueur de la bougie, avancent vers un bassin d’eau sacré, peu profond. « Rentrez dedans, Bruno » demande le vieillard, qui commence à dire doucement d’étranges paroles incantatoires. Le visiteur pose un pied dans le bassin, puis un autre ; l’eau s’arrête à hauteur de ses chevilles. « Bien, Bruno, ressortez maintenant » Il ressort. « Mon cher Bruno, je vous déclare désormais digne de rejoindre le vénérable Cercle de Saint-Jean ! »

          Bruno ressort de la pièce, prend un couloir secret, éclairé de torches, et enfin, après une centaine de mètres, il arrive à une porte : avec appréhension, il la pousse. La voilà arrivé au cœur de la société secrète du Cercle de Saint-Jean. Tous ses frères sont là, à la regarder, dans le bleu turquoise d’un bassin en forme de cercle : la Piscine ! Le visiteur saute dedans, et fait une « bombe » ; tous les membre de la société rigolent et fêtent le retour de Bruno dans le Cercle de Saint-Jean ; un nouvel ordre mondial ne tardera pas à en sortir… avant l’Apocalypse !

Publié dans Nouvelles enivrées

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