Il suffira d'un floyd...

Publié le par Jovialovitch

     Et la sourde et sordide impossibilité de vivre, la froide mer de glace au fond du cœur, la blessure suprême et totale, la honte et la douleur, tout cela, ô chagrin, tout s’en va ! Car la voilà qui arrive, la jeune la douce, la dryade drapée de nudité ! L’impassible femme, printanière et qui chante, dans les yeux comme au ralenti ! Dans ces triades d’illusions, cohortes distendues de plage et de mer, d’infini bleui d’air et d’eau, ils l’aiment et ils l’adorent, en souffrent de désirs contenus, glacés, magnifiés d’inaction ! Car la brunie, cette Amazone bronzée d’une brûlante senteur, accoure lentement vers l’océan, comme un fleuve vers son atlantique. Fulminations devant son pas cadencé comme l’immortel, exclamations en dedans devant l’oscillation ouatée de l’imberbe triangle de son sexe, hurlements du bout des yeux en voyant ses jambes, si fines, si longues, qui s’élancent vers le sol comme les doigts d’une main en train de marcher. Corps nu, si beau, leste et brillant, où luit velours et cheveux bruns, si bruns qu’ils brillent en blanc ! Colportes d’émotion en forme d’indécision, effondrements de joie !...et par Dieu : deux seins, coupoles de glaise, qui pointent au ciel comme deux ouvriers du paradis, deux rondeurs célestes, tétasses en frissons, deux fameux tétons qu’on voudrait toucher pour l’éternité, tout rond. Illuminations, oubli de tout, hypnose voyeuse, observation dure et dressé, aguets déclarés : paralysés ! La personne se baisse… elle se baisse… oh crasseux miracle, sublime ignominie !… Ses jambes tendues comme des clochers d’église, collées l’une contre l’autre, mollets, genoux touchant l’ami, cuisses hérissées, et poster figé en l’air ; flageolements, pertes d’équilibre, agonies. L’ange, ce rêve vivant, cet être beau toujours, le voilà dès lors, qui ramasse : une bouée. En forme de cygne. Ridicule et grotesque bouée, enfantillage grossier, vulgarité en pétrole émasculé. Elle l’enfile… Ebahissement, tremblements. Nue, toute nue, elle monte la bouée le long de sa longue taille, jusqu’à son nombril… disparut.

        Et voilà qu’elle n’est plus nue : il y a ce cygne, cette injure, la tête postée entre ses deux loches, déformé minable d’un sourire de juif... La bête gonflée, venteuse ignoble et crapoteuse, la monstre sans vie qui se rie des vivants. Ah, malédiction, haine et folie furieuse… mortelle envie de l’étrangler, de le percer, et de se saisir de son contenu de chair et de sang ! Mais rien, hémiplégie totale, mort pleine de colère, agonie furibonde s’il en est. Elle va vers la mer, la femme, cette mer turquoise comme de la peinture transparente, où ballottent les clapotements sourds et luisants de vaguelettes de lumière, reflets pourfendeurs de ciel et de soleil ! Avec sa bouée disgracieuses, honte à l’esthétique, d’un blanchâtre blafard, caustique et plastique minauderie, elle rentre dans l’eau, cette Ève, dans ce flot silencieux de ras, de rocs et de mousse… elle y pénètre, lentement, en poussant devant elle de doux remous, sensuels d’insignifiance, en des bruits d’enfantine tempête, bubulle en sus. Elle s’enfonce, les genoux, les cuisses et la blessure de son sexe… ils n’en peuvent plus, ils tressaillant comme les moustaches de Nietzsche à l’approche du mistral. Elle se jette totalement dans l’eau, dans un jet de corps de paradis et de ralenti. Mais voilà que le faux cygne, sagouin simulacre, la retient, et la néréide reste hors de l’eau… La bouée flotte, dans un oscillent lugubre, comme une pendule, entre l’éternité d’un bleu, et la perfection d’un poitrail. La nymphe nage. Dans le silence de la plage hypnotisée résonne le bruit giclant de l’océan, où s’agitent en vain la plus merveilleuses des algues guinéennes. Puis, dans la force d’un geste d’excommunions, elle plonge en avant sa tête, et malgré son encombrante bouée, émule à la beauté moindre, elle reste sous l’eau quelque seconde. Le silence s’installe, tous sont prêts à la secourir. Et tandis que l’insupportable attente se fait trop lourde, qu’aucun signe de vie ne vient de la baigneuse, que son silence sonne comme un cri d’alarme et de désespoir, comme l’ultime appel au secours d’une âme en peine : elle lance sa tête hors de l’eau, dans un crâne retourné acrobatique, et ses cheveux la suivent dans le ciel, comme un fouet, un coup violent, éclatant en l’espace d’une seconde, clac ! Ils déchirent l’air et le ciel, et reviennent claquer la mer, de l’autre côté, en dessinant derrière eux, comme une étincelante queue de comète, une longue et filante traîné de goutte qui s’élève plus haut que les nuages, et qui plongea dans la mort toute l’assemblée : sur Terre, rien ne pouvait être plus beau...

Publié dans Nouvelles enivrées

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