La Grande Puanteur

Publié le par Jovialovitch

    Tout au long de la longue Tamise, brille et chauffe un soleil de plomb, donnant à Londres un mois de Phoebe fort barlong. L’acropole tuilée mouillée, n’en avait point connue des comme ça depuis bien longtemps. Jamais sans doute... Le ciel bizut azur, souquenille en transe, brûlait d’un flamboiement nimbé d’une bouillante bleuité, sans nébulosité aucune. Le climat crépitait en canicule, l’air ambiant brûlait de pétulance, le temps octroyait aux rosbifs cloques et cautères. Violente ulcération estivale faisant du smog londonien un souvenir lointain teinté d’un parfum de Castille. L’anglo-saxonne capitale insole d’ardeur et d’aigreur, elle n’est plus qu’un incendie de chantignole, une combustion figée de parpaing, une escarre suante dans l’estuaire sud-est. Au milieu de cette torride échaudure, passe comme une étoupille tranquille, le fleuve. Il scintille à milles falots, dandinant de ses vagues d’écume entre les docks clapotants. Et pourtant… point de buées bleues, point de mouettes, ni de navires, ni de courant : le plus grand port du monde est mort… C’est la « Grande Puanteur ».  

       Les égrillards londoniens ont en effet engraisser le fleuve de leur fienteuses charcuteries puantes. Ils y ont déversé des années durant leurs britishs immondices, gavant l’eau d’excréments et d’eaux usées, de déjections gluantes venues rampantes d’usine ou d’abattoirs. Toute la sueur de Londres s’y déverse. Toute sa bile cracheuse, son suc putride, son jus sordide s’écoulant de ses plus profondes entrailles, tout s'évanouit dans le fleuve. Mais celui-ci est assommé par la chaleur. Il est effondré. Épuisé. Il râle famélique, expire dans le fange, il rend l’âme tout besogneux : il ne coule plus. Il stagne, sans flotte ni volume, croupissant malheureux, piétiné par la ville dont il est le père. Voilà le visage de la Tamise en cet été 1858 : « un fluide brun pâle et opaque » ; on n’y voit plus à un centimètre de profondeur, bouge fluvial de boue, horreur crottée de fange, marécage de limon crasseux, turpitude vaseuse de saloperies merdeuses, stupéfaction mythique d’une mare stygienne venue tout droit des enfers. Indigne de plus grande ville du monde. Plus d’eau. Pas une goutte ! La rivière malade charrie des étrons spacieux, flottants tels ces monstres des lacs d’écosse. On trouve dans ce liquide atroce des viscères d’animaux, de la bouffe avariée servile et verdâtre, des charognes décomposées de bestioles dépouillées minables, des déchets industriels toxiques recouverts par des nuages empoicrés de chiure bourbeuse, purin de chiasses alvines, vomissant en rogue confiture sous les ponts asphyxiés d’une ville qui se meurt.

        Et la chaleur, qui grille cette longue saucisse embrenée d'épouvante ! Ça cuit, boucanant l’immondice carbonisée en calcine bronzée de cendres fallacieuses ! C’est une terreur ! Une giclée glauque au milieu d’un linceul vaporeux ! Abjecte traînée fétide au milieu d’un chef-d’œuvre, obscène torchée sur le Saint Suaire, vomissure vile et dégoûtante sur la Joconde : la Tamise pue. Oh ! Qu’est-ce qu’elle pue ! Putréfaction ! Comble de désolation ! C’est intolérable… Honteuse odeur qui infecte la capitale du monde ! Hideuse pestilence, remugle pugnace qui traîne dans l’air infecte ! Ignominie fétide qui gifle les nez ! Les mouchoirs n’y suffisent pas, la région entière étouffe ! Le parlement lui-même en souffre ! La ville se vide de ses habitants ! Et de nouveaux arrivent : les Mouches. Elles sont fières, elles sont énormes, vertes, émeraudes, embonpoint fleuri, et elles semblent nous dire : « Merci pour tous, mesdames messieurs les humains ! »

Publié dans Nouvelles enivrées

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