D'une Vie de Misère et d'une Mie de Viscère

Publié le par Lukaleo

heu.jpg      C’est l’histoire d’un homme confronté à l’absurdité de sa condition, c’est l’histoire d’un homme qui sentira dans sa chaire poindre l’ignominieuse fatalité de son sort, l’innommable impudicité du monde, la terrifiante caducité de la société lugubre, la blafarde incohérence de l’humanité. Cet homme est en effet, celui qui aura dit, sous le beau ciel gris d’un sec hiver : « si je pisse pas maintenant, je me fait dessus »

       Il était là, marchant sereinement dans les rues désertes et transies d’une ville qui s’apprêtait à recevoir le froid manteau à double vison de la neige hivernale, quand tout à coup, au plus profond de lui-même, sans que rien ne puisse l’expliquer, une sensation d’empressement incompréhensible s’emparât de lui. Quelque chose d’indicible se passait en bas de son ventre, mais ça n’était encore qu’une sensation pesante et aigre-douce que l’on pouvait supporter, sans pour autant s’en débarrasser. Ca lui collait dans la bedaine, comme une fiole élastique : plus de doute n’était possible, il avait envie de pisser.

        Flânant toujours avec le même ennui et la même délectation sur les trottoirs luisant du quartier délaissé, il ne se rendait pas compte du calvaire qui allait être le sien. En effet, le poids acidulé qu’il sentait gentiment dans  ses entrailles urineuses, devint de plus en plus pénible. C’en était devenu une obsession, visqueuse et pressante, qui lui faisait oublier tout le reste. Son pas devenait plus rapide, son allure frénétique devenait délétère, il sentait monter en lui méchanceté, sa patience fondait comme neige au soleil, tout cela devenait aussi saisissant que l’insistante froideur de l’air. Comme un pic de l’intérieur, comme une guerre intestine, cela lui prenait les trippes avec une scansion inégalable.

         Pisser un bon coup en devenait dès lors sa seule et unique hantise. « Faut que je pisse, faut que je pisse…» se disait-il avec frénésie. Il se raidissait à mesure qu’il clopinait, et ne sachant même plus ou donner de la tête, n’avançant plus que dans le but d’estomper l’atroce nécessité obnubilée qui lui bouffer la cervelle, il tombait raide-dingue dans un carrefour inqualifiable, où comble de désolation, surgissait de terre, comme l’horrifiante omniprésence de la mort imbécile : un immense jet d’eau à l’islandaise ! La vigueur insondable de son envie monstrueuse n’en fut que forte, et il ne s’en fallut de peu, que par pure automatisme, innocent comme la neige est blanche, il n’ouvre les vannes, et ne subisse de plein fouet l’incontinence de celui qui n’en tient plus. Cette eau qui giclait, ce bruit salvateur de la flotte qui dégouline, la face admirable de gouttes à l’air libre et qui chutent avec lenteur : l’homme n’en pouvait plus.

        Hurlant sa douleur, il courut en tout sens : « il me faut un chiotte, un chiotte ! » Mais il n’y en avait nulle part, aucun chiotte, finis les chiottes ! Il se disait qu’il pourrait bien le faire dehors, il se cambrait violemment, se pliait en deux, se tenait la vessie, poussait des hurlements, sautait inutilement : rien n’y faisait, sa vessie débordait, océan de pisse qu’elle devait contenir tant bien que mal : il ne pouvait plus se retenir longtemps ! Là, il trouva un parce, il alla derrière un arbre, et tout tremblotant, avec des tremolos gémissants dans la voie, il desserra sa ceinture, baissa entièrement le pantalon et tout le reste, et desserra les vannes !

        Ô Extase Divine ! C’était Splendeur et splendosités fait de chaire ! C’était comme un oiseau tissé en fil de paradis ! Comme la musique qui s’élève dans le ciel argenté d’un vice en fleur ! Comme la ruine parsemée de liesse nationale en rhododendron ! Comme la bouche délicieuse d’une vulve retournée en mille archanges maudits ! Des larmes d’émotion luisaient sur ses joues, de la buée bouleversée sortait de sa bouche bée, tous les mal enquis petits poils de son bloc se dressaient à l’envers ! Pendant une minute, il sentit tout l’enchantement terrestre que peut ressentir un être humain : la plus exquise libération, la plus totale exultation. Ce fut par ailleurs, le seul instant de bonheur qu’aura vécu cet homme, qui est aujourd’hui le plus grand urologue de la planète…   

Publié dans Nouvelles enivrées

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