Eternels regards longs de silence

Publié le par Lukaleo

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        Elle est devant lui, toute souriante, fringante comme une paire de chaussures fraîchement achetée. Elle rit joyeusement, de bon cœur, un peu comme si elle se foutait de sa gueule. Lui, il ne sait pas vraiment quoi penser. Alors, il sourit aussi, comme pour lui répondre. Mais son sourire porte la tristesse cajolée de la joyeuse incompréhension.  Ils se regardent tous les deux, ça dure. Et puis là, comme ça, sans prévenir, elle lui fait un clin d’œil : discret comme une goutte d’eau dans le gosier asséché d’un enfant du Sahel, léger comme la dernière feuille d’un arbre à la fin de l’automne, silencieux comme le La circonspect de l’opéra coi. Un clin d’œil : cette paupière rieuse qui se ferme, ce message mystérieux qui se passe, avec la suavité de l’esquisse achevée par le souvenir. Ca n’aura duré qu’une seconde, mais de ce genre de seconde qui dure plus longtemps que les autres, et surtout qui reste dans la mémoire, alors qu’en fait, elles n’ont de plus que les autres qu’un infime clignement d’œil, fatal grain de sable dans l’habile mécanisme du célibataire endurci.

         Il ne sait pas quoi faire. Il est presque gêné, elle insiste, elle rit encore, d’un sourire pure et enfantin, ses dents brillent comme autant de larmes de joie. Il ne sourit plus, il la regarde profondément, au fond des yeux, elle s’arrête de rire, le blanc de ses mirettes revient à la lumière, et ses lèvres ne dessinent plus de sourire. Ils arrivent comme à un point de non-retour, franchissant une ligne, qu’ils ne sont plus que deux sur terre à avoir dépassés. Comme dans une autre dimension, ils n’ont plus comme sens que la vue. S’approchant l’un de l’autre simplement par le regard, ils perdent toute notion du temps, et n’ont plus pour seuls univers que l’iris immobile de l’autre. C’est durement intense, profondément long, et comme un sentiment d’éternité naît de cet aparté entre quatre yeux.

        Ils se contemplent mutuellement, quand passe brusquement entre les deux un rustre personnage, qui interrompt cette inoubliable entrevue, comme un fleuve dans la ville, comme un mur dans Berlin, comme la plaie ouverte qui tarde à se renfermer, comme l’incompressible fissure dans le rempart. Les yeux se décroisent, les directions s’opposent, les têtes se tournent, le veule est déjà loin : ils sont déçus, ils se lèvent ensemble, et se quittent, chacun de leur côtés. Lui, il marche, et puis, il se retourne, s’arrête, reste là. Elle a du le sentir, elle se retourne. Les deux sont éloignés. Elle rit encore, lui refait un clin d’œil, il lui sourit à pleine dent. Elle le voit, elle se retourne, et suit sa route. Ils se reverront demain. Lui, il ne bouge pas, il reste là, la regarde s’éloigner, contemple, profite, elle est belle, c’est sûre : il s’en rincerait l’œil éternellement !

Publié dans Nouvelles enivrées

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