Fafouette : cinquante et un - Le cinéma-réalité

Publié le par Jovialovitch


     Le temps est aux cérémonies. Paillettes et strass, ô mes amour : venez faire sourire ceux qui sortent de la pellicule pour traverser les tapis rouges ! Il est l’heure, des deux côtés de l’atlantique, de récompenser ceux qui ont du talent. Alors, césarisons-les, que diantre !... Moi, mes très chères ouailles, cela me plaît. Car vous le savez, j’aime le cinéma. Aussi, voudrais-je vous en parler. Rappelez-vous, j’ai récemment écrit sur un certain cinéma, que j’ai appelé le Cinéma de l'instant ; par ce mot pompeux et non moins maladroit, je voulais caractériser ces films en sommes trop cinématographiques, où les effets, voir même les « effets d’effet », se substituaient au temps, en construisant une esthétique toute entière détournée de la réalité, et où l’impression de vie mourait sous les coups répétés de la mise en scène, de la musique ou même de la photographie. Film sensationnels où s’assèche l’émotion, mes très chères ouailles !... car l’émotion, je vous le dis, n'éclore que sous le soleil de ce qui « fait vrai », et non pas sous celui du « c’est bien fait ».

      Certes, quelques nuances sont à apporter à ce propos fragile et non moins obscure, dont l’intuition initiale me paraît cependant tout à fait pertinente. Voyez-vous, le Cinéma de l’instant existe ; je le crois parce qu’un cinéma lui est contraire, et développe à son encontre une esthétique diamétralement opposée – tout en étant en étant d’une égale médiocrité, cela va de soi. Ce cinéma mes très chères ouailles, c’est celui dont les effets n’empiètent pas sur l’impression de véracité, et ne font que la renforcer : oui, le « cinéma-réalité » !

        Héritier du cinéma caméra à l’épaule des Années 70, ce « genre » triomphe de nos jours avec au Nord les frères Dardennes et au Sud notre ami Abdelatif Kechiche. Dans leurs œuvres, mes très chères ouailles, toutes les techniques du septième art sont vidées de leur substance, laissant place à un cinéma purgé de tous ses artifices, sans fioriture esthétique, d’un réalisme définitif. Pas de musique, pas de photographies audacieuses, pas de mouvements de caméra : rien que la fureur de filmer la réalité au fond des yeux, dans un brutal et sordide face à face – que nous pourrions, d’un point de vue stylistique, rapprocher des cassettes vidéos amateurs, qui peuplent les appartements hantés de souvenirs de toutes les familles françaises. Car voilà bien le but de ce cinéma : faire croire au spectateur qu’il suit une histoire en direct, et que par conséquent, cette histoire est tout ce qu’il y a de plus vrai. Or cela est faux naturellement : et même si cela est filmé avec d’identiques pseudo caméras, et avec une maladresse similaire à celle qu’ont tous les Kubrick du dimanche (lorsqu’ils filment le baptême du petit, à grands coups de zooms nauséeux ou de plans-séquences interminables), même si les acteurs ne sont pas professionnels, même si tout colle au réel, même si tout cela semble absolument vrai : cela ne l’est pas.

        Cela est du cinéma.

        Alors certes, je fais là un jugement de valeurs totalement arbitraire et dénué de toute objectivité. Mais cela étant, je pense qu’il est profondément problématique d’utiliser les techniques du documentaire quand on fait de la fiction. Je dis qu’il est facile de dire « voici le réel », quand on présente quelque chose qui ne fait que le reproduire (avec une confondante fidélité, il est vrai) mais qui, en réalité, ne l’est pas. Je pense que ce cinéma est une déconstruction du cinéma moderne ; c’est une chute vers un cinéma primaire, presque primitif, posé là, en face de la réalité, comme un perroquet ; chaque scène ne serait qu’une répétition de la réalité. Moi, je préfère le cinéma qui invente ; je préfère l’original à la copie…

        … Et dire adieu plutôt qu’au revoir.

Publié dans Fafouette enseigne

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