Louis Vidal, nous voilà ! - L'Âge mur

Publié le par Jovialovitch


4.

 

     Certaines notes sont jouées à la clarinette ; d’autres le sont au glas. Lorsque Louis Vidal atteignait l’âge de 29 ans, les harmonies enjouées et champs-élyséennes qui voletaient joyeusement autour de son cœur languissant laissèrent place à la profondeur pathétique de sons poignants, où se heurtait dans l’implacable gravité de leur rencontre, le drame et la souffrance : ce fut la plus dure période de la vie de Louis Vidal…

        Tout allait bien pourtant : Louis Vidal était amoureux de France, une jeune nation, très mignonne, qui cultivait une certaine profondeur d’esprit, faite de cartésianisme et de Lumières, où pointait une inébranlable foi en l’homme et en l’avenir, ainsi qu’une grande capacité de révolte. Comme toutes les belles femmes, France était irradiée de cette mélancolie douce et presque sereine, où brille sans flamboyer l’empreinte émue d’un passé glorieux, qui n’existe plus que par le souvenir ; cela plaisait très fort à Louis Vidal.

       Un jour, tandis qu’il cajolait amoureusement sa dulcinée (en lui dorlotant câlinement ses douces plages armoricaines), voilà qu’une grande clameur se fit entendre, et que le ciel s’assombrit soudain, charriant avec fracas de gros nuages noirs qui venaient du Sud… Là, une grande dame surgie de derrière les Alpes et de devant l’orage : sa pâleur était extrême, et semblait comme renforcée par son châle, irrémédiablement noir. A peine était-elle apparue que France s’exclama pétrifiée: « Oh non !... ma mère ! » Louis Vidal tressaillit : « Madame, ce que j’entends est-il vérace ? »  « Oui ! Louis Vidal, je suis la mère de France… Je suis l’Eglise ! » Et là, France poussa un cri de rage mêlé de désespoir, qui monta dans le ciel en s’affaiblissant comme s’il déchirait l’air et le temps par la force de sa souffrance. La grande dame en noir s’avança, et elle dit à Louis Vidal, d’une voix tranquille qui contrastait avec les hurlements de douleurs de la jeune fille : « France est ma fille aînée ; elle est ma chair et mon sang, le fruit de mes entrailles. Tout marchait pour le mieux, jusqu’au jour où elle me renia,  avec colère et bêtise : une rébellion inouïe dont je ne me suis toujours pas remise… » France, un peu à l’écart, pleurait ; Louis Vidal la regardait, pris d’un étrange sentiment. Il demanda sèchement à la Grande Dame en Noir, comme s’il avait conscience de vivre l’un des moments les plus importants de son existence : « Madame, que voulez-vous de moi ? » Et là, la grande dame en noir : « Louis Vidal, tu es un homme d’exception, et tu ne peux continuer à te perdre avec cette enfant, cette donzelle exaltée et laïque confinée au monde terrestre. Je te propose d’aimer un peu de grandeur et d’éternité : rejoins donc mon Saint-siège, là-bas, derrière les Alpes, au Vatican, et dès lors, tu seras vraiment en accord avec toi-même, Louis Vidal : car si tu crois aimer France pour elle-même, tu te trompes : en vérité, en vérité,  je te le dis, à travers elle, celle que tu chéries de toute ton âme, mon bon Louis Vidal, c’est Moi ! » Louis Vidal était fasciné par cette grande dame sublime, mûre et pâle, qui était de ces femmes fascinantes qui bien qu’ayant perdu l’écrin doré de leur jeunesse, sont encore à même de susciter le désir par l’éclat terne et mystérieux de leur beauté, que le temps dissimule et n’emporte pas.

          Louis Vidal sentait monter en lui le vacarme sourd d’une imminente résolution. France s’approchait de lui, suppliante ; mais le pauvre garçon ne savait que faire. Il était attiré vers cette grande dame, qui semblait si fier, si solide, si indiscutablement éternelle ; elle était comme une louve, immense et majestueuse, et il était ensorcelé par ce grand manteau noir : « Viens ! disait-elle, approche, mon enfant ! » Et France tentait de le retenir, implorante : « Louis, je t’en prie ! Ne me quitte pas ! » Mais c’était trop tard : une incroyable volonté prenait Louis, qui se sentait comme emporté dans un flux inexorable ; sans se retourner, Louis Vidal s'en alla, conduit par le destin derrière les montagnes, jusqu’à la seule ville « digne de Paris » : Rome !

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