Les Carnets du dictateur, dans les oubliettes

Publié le par Jovialovitch


 

26 de juillet


     Ces derniers temps, j'ai assister à des événements qui m'ont bousculé comme jamais, alors que je croupis pitoyablement entre quatre murs insalubres et morbides qui laissent tout juste passer un rayon lumineux et que des odeurs pestilentielles encrassent odieusement ; je me morfond et, disons-le, je m'ennuie. Toutefois, comme je parvins à concevoir que je me trouve bel et bien emprisonner, et que cela est la seule réalité à laquelle je ne peux remédier, depuis qu'on me retirât de cette terre impitoyable où seule l'injustice à sa place, je tente au fil des jours de m'acclimater à ces humidités sèches et particulièrement inconfortables que constitue ma pauvre condition d'homme innocent, qui n'a pas tuer sa femme. Je regrette d'ailleurs que l'on ait sottement supprimé la peine de mort ici-bas, ce qui m'aurait sans doute permis de mourir en martyr, au nom de tous ceux qui n'ont pas tuer leur femme. Mais efforçons-nous de ne pas retomber dans ce gouffre acide et ténébreux dont je me vantais plus haut de l'avoir franchit. Car en effet, j'ai décidé d'être heureux. D'être heureux dans ce finalement fort sympathique cachot, qui certes dégage une petite odeur quelque peu incommodante, mais où je puis en toute liberté m'allonger sans préoccupations, histoire de me reposer ; où je puis écrire, encore, autant de merveilleuses choses que mon imagination puisse produire. Enfin merde, jusqu'à ma mort, je pourrais écrire combien de chefs-d'œuvre ? Bon, bien sur, il faudra trouver un éditeur, mais ça on verra plus tard, à la limite. En ce qui concerne le musée, et le centre d'archives, nous verrons également par le futur. Peut-être m'aura-t-on gracier avant. Si j'ai fait quelque chefs-d'œuvre, on ne sait pas. Non parce que je le précise d'entrée de jeu, il n'y a que les chefs-d'œuvre qui m'intéresse. Tout le reste, j'en veux pas.

     Je me mettais donc il y a quatre, cinq jours, à écrire lorsque je ne sais en vérité comment, mon imagination se perdit et j'entendis soudain des trompettes qui m'interpellèrent l'ouïe. Des trompettes, me dis-je stupéfait, et je relevais immédiatement la tête qui était encore déposée sur les feuillets sur lesquels je m'apprêtais à rédiger un chef-d'œuvre, lorsque je crus me trouver dans une pièce foncièrement différente de ma cellule, mais qui me paraissait étonnement familière. Mon dieu, mais je suis chez moi ! Je suis dans mon....dans mon bunker ! Ce dernier mot m'effraya quand il vint tinter dans ma tête ; voilà des mois que je ne l'avais employé, prononcé. J'étais pâle. Néanmoins, ce moment insupportable devint subitement bien paisible lorsque j'aperçus sur mon lit, étendue, une bien jolie femme. Et comme je connaissais son visage languide et noble, je m'approchai en titubant, jusqu'à pouvoir tâter sa silhouette pourprée et odoriférante. Elle avait conservé sa beauté et son sourire mélancolique de jadis quand elle me rendait visite dans mon bunker (aïe ma tête !) il y a des années et qu'elle m'offrait toujours avant de partir un délicieux baiser. J'avais l'air d'un enfant à côté d'elle et là encore, en la revoyant, sa bienveillance maternelle me rajeunissait. Je n'avais plus vu ce sourire depuis des siècles, ni ces paupières lascives et ce nez sublime qui s'effaçait hélas tout comme la présence de cette délicieuse femme dans mon lit, avant même que je m'interroge sur sa présence ici, délicieuse femme qui n'avait été qu'illusion libidineuse, que ruse et subterfuge, qu'un effet de mon souvenir qui l'avait édifié brusquement devant mes yeux émus aux larmes par ce passé glorieux, que j'eus oublié jusque-là et qui me revenait comme une claque, et un regret profond. Dès ce jour, mon imagination me fit peur. Je n'osai plus repenser à rien. Je refusai d'écrire quoique se soit ; d'ailleurs, je crois qu'écrire des chefs-d'œuvre aurait fini par m'ennuyer.

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