Journal d'un Amateur d'huîtres leibniziennes

    Les pessimistes, ce ne sont rien que des vieux rabougris, coincés du derche et engourdis de la panse, j’en suis convaincu ! Et je ne dis pas ça parce que je suis un optimiste ! Pas du tout ! Je dis ça parce que c’est la vérité… et la vérité, c’est que les pessimistes, ils le sont par humeur, tandis que nous autres, optimistes, nous le sommes par volonté ! On a choisit de voir le verre à moitié plein, nous, et même si on vient de perdre père et mère dans une partie de poker foireuse, on le verra coûte que coûte, à moitié plein, le verre ! Tandis que le pessimiste, ça dépend de sa mine et du chant des oiseaux… d’ailleurs, il est bien connu qu’il y a bien plus de pessimistes en hiver qu’au printemps…  Ah, les filous ! Moi je suis un optimiste… un vrai de vrai : pur sucre…

     J’en ai la preuve : je vais au restaurant régulièrement… Rien d’étonnant à cela, penseront quelque esprit chagrin aux tristes thèses schopenhaueriennes… Faux ! Arrivant en toute quiétude dans ma luxueuse taverne, sifflotant guilleret tout plein de douces rhapsodies allemandes des années folles, je demande à l’humble tâcheron prévu à cet effet, la table ; celle qui est située de telle sorte que je puisse voir tout le monde, sans que ma présence ne soit facilement décelable par la reste des riches convives… Il va sans dire que cette table est la plus chère… Ainsi donc, je m’assieds et commande le menu le plus onéreux de la carte, la plus somptueuse bouteille de la cave, le plus habile serveur dans mon dos et les sauces les plus aromatisées du réfrigérateur, m’élevant dès lors dans un luxe gustatif, une opulence gastronomique et un faste culinaire absolument indécent quand on a conscience de cette tenace et lointaine « Faim », qui par ailleurs, en tant que bon optimiste, m’en touche une sans faire bouger l’autre : dans le meilleur des monde possible, tout n’est-il pas nécessairement au mieux ?

      Ainsi, arrivent les plats… Oh ! Les belles huîtres… Qu’elles sont gouteuses, qu’elles sont dodues et bien replètes… Oh, et quelle sauce ! S’en est frissonnant des huîtres comme ça… Ah, j’en mangerai des tonnes… et des tonnes… et encore ! Ah ! Dieu que c’est bon ! Oui, ben écoutez oui, remettez moi en un autre plat parce que là franchement, c’est succulent, vous dis-je, ah oui, vraiment, mes papilles en sont littéralement folles ! Non mais regarder les qui frétillent !...et puis, ce fumet, cette senteur ! Quelle fragrance, tout de même ! Ah écoutez, je voyage là, je voyage ! Ah ! Les belles dunes des Landes sablonneuses ! Terre de feu et de forêt…

      Mais que vois-je ? Dans celle-ci ? Mais c’est… c’est une perle ! Oui ! Là, dans l’huître ! Une perle ! Mon Dieu ! Comme elle est grosse ! Et moi… et moi qui n’avait pas amené de portefeuille ! Comme j’ai de la chance ! Eh bien non, monsieur le restaurateur, je n’ai pas le moindre sou ! Je vous paierai donc avec cette perle ! Elle fera l’affaire, sans doute ! Oui ! En effet, oui… Quelle perle ! Comment, mais bien sûr qu’elle est à vous ! Puisque je vous le dis, cher cuisinier… Ah ! Comment ? Si je veux un supplément ? Offert par la maison ? Et bien…ma foi…pourquoi pas !...et puis, si je peux vous demander cette petite faveur…pourrais-je visiter les cuisines ? Oui ? Je peux ! Merci infiniment ! C’est trop aimable !...La perle ? Comment la perle ? Mais puisque je vous dis que je vous la donne ! Je suis venu sans un sou, mon cher… comment ? C’est ça…que vous appeler de l’optimisme ?…eh bien vous savez quoi, c’est exactement ma définition : venir dans un restaurant sans argent, en espérant trouver dans une huître la perle qui vous fera payer l’addition…