Quand les victimes si molles...

      Pour Marcel Proustate, l’humanité est une fosse commune. Et la civilisation est une fosse sceptique. C’est pas compliqué. C’en est même très tranché : où en est passée la nuance verlainienne, dans cette sombre théorie, selon laquelle l’homme est un tas de viande qui a du style ? Marcel Proustate, il s’en contrefiche, de la nuance verlainienne. C’est pas son truc : « ce que je sais, moi, c’est qu’on est tous de la pourriture en suspend ! » Percevant à travers les limbes filandreux d’une mort imminente l’absurdité blafarde de son existence grotesque, Marcel Proustate n’en prend plus pour dernier plaisir que de faire chier ses contemporains ignorants. Et cela avec des imputations nihilistes de ce type : quelle jubilation.

        Un jour qu’il mangeait chez sa mère, morte à sa naissance, Marcel Proustate eut l’idée qui allait changer sa vie, et par un opaque effet de causalité, la face du monde. Il s’est dit qu’il fallait faire voter une loi : celle du refus de vivre. En effet, on a rien demandé à personne, on nous a obligé à débarquer ici-bas avec nos gros souliers dans ce monde navrant qui fait rien qu’à nous faire tomber des misères dans le coin de la figure ; donc, quoi de plus naturel que de refuser de vivre, d’autant plus que tout ce bordel, ça va s’arrêter un beau jour, et on se rendra compte alors qu’il aura bien fallu s’en voir avant de mourir, et pour rien du tout, puisque pour couronner le tout, « invoquer sa postérité, c’est faire un discours au asticots ». Marcel Proustate lance donc le Part Suicidiste qui vise à arriver au pouvoir pour faciliter la mort des gens.

        Dans l’idéal, il faudrait que les citoyens puissent venir demander à l’Etat de les tuer. Et celui-ci, en cas de demande, exécutera avec mansuétude. « C’est quand même bien la moindre des choses que ça fasse partie intégrante d’une politique digne de ce nom » renfrogne Marcel Proustate, qui affirme au passage que son projet se mettra en place de gré ou de force, dans la mesure où les suicidistes « n’ont pas peur de mourir. » La naissance du suicidisme a évidemment provoquée une monumentale levée de bouclier de la part de la classe politique, et les pires insultes sont retombées sur Marcel et sa belle équipe. « Et la nuance verlainienne dans tout ça ? » s’indigne le chef de file du suicidisme, qui ne comprend pas l’incompréhension bien pensante de ses détestables contradicteurs.

         Le suicidisme devint rapidement un mouvement célèbre de part le monde, qui en plus d’être politique fut aussi artistique, littéraire, philosophique. Marcel Proustate profita ensuite d’une inégalable célébrité de part le monde. Aussi, une guerre féroce l’opposait-il contre les « goûteux », abjects pourfendeurs de la joie de vivre et de l’optimisme anti-voltairien : des jeunes, plein de fougue et d’espoir, qui nourrissaient une immense joie à la simple idée d’être là, sur ce monde bien jolie, quand il s’en donne la peine. Vive le goût de vivre, disaient les uns ! Vive le refus de vivre, disaient les autres ! Bien qu’ayant des points de vue différents sur l’existence, les deux clans, aux dernières nouvelles, se mettent sur la courge de la même façon. Où en est passé la nuance verlainienne, bordel de merde ?